C'est le genre d'histoire qui semble avoir été inventée pour émouvoir les cinéphiles. Mais en Haïti, depuis un mois, la réalité dépasse souvent ce que les meilleurs scénaristes auraient pu imaginer.

Le 18 janvier dernier, Kercyzant Auclor a placé son fils de 4 ans, Ernesto, sur une petite chaise de bois. Puis il a attaché la chaise sur son propre dos avec des cordes. L'homme de 65 ans s'est ensuite mis en marche. Il a marché de sa ville de Léogâne, à 29 kilomètres de Port-au-Prince, jusqu'aux portes de la capitale.

 

But de l'expédition: sauver Ernesto.

La veille, le petit garçon, qu'on croyait mort, venait d'être retrouvé sous une pile de roches.

Il jouait dans une forêt avec son cousin le soir du tremblement de terre quand un glissement de terrain les a surpris.

Son père, qui venait de perdre sa femme dans la catastrophe, croyait que son fils était mort lui-aussi. Ce sont des voisins qui ont entendu le petit gémir sous les pierres, cinq jours après le tremblement de terre.

Les gens du voisinage sont accourus à l'aide de pelles et de pioches.

Ils ont libéré Ernesto. Son cousin, lui, était mort. Pendant cinq jours, son cadavre est resté coincé sur le bras d'Ernesto, l'écrasant contre une pierre.

Quand on a extirpé Ernesto des décombres, son bras était sérieusement meurtri. Le petit souffrait aussi de graves blessures à la tête.

Son père a compris que son seul espoir de sauver son fils était d'atteindre la capitale. Il est parti à pied.

Des secouristes l'ont aperçu à Carrefour, une ville-dortoir aux portes de Port-au-Prince, et l'ont transporté jusqu'à l'hôpital central de Port-au-Prince.

Ernesto a dû être amputé d'un bras. Quand La Presse l'a rencontré cette semaine à l'ombre d'une tente dressée dans la cour de l'hôpital, il portait toujours un bandage à la tête.

Mais le gamin sourit et a repris de l'énergie. Son père, lui, en aura encore besoin d'une bonne dose. Visiblement épuisé, il admet que la perspective de s'occuper seul de ses quatre enfants l'effraie.

Mais le père et le fils s'échangent des clins d'oeil et partagent une complicité évidente. En ils tiennent une histoire qui risque d'être racontée encore longtemps à Léogâne.