Un parfum de safran flotte dans la Maison de Kebab, rue Atwater, où le grésillement des brochettes sur le gril et le cliquetis des ustensiles annoncent une heure de lunch paisible à l'abri du froid. Mais les deux écrans géants placés aux murs ont tôt fait de rappeler aux Montréalais d'origine iranienne attablés dans la petite salle la dure réalité de leur patrie.

La chaîne PARS TV diffuse plusieurs fois l'heure les images des manifestations qui secouent l'Iran depuis le week-end. On voit des partisans de l'opposition scander des slogans, filmés à l'aide de téléphones cellulaires. De jeunes contestataires en pleurs témoignent de la férocité de la répression lancée par le régime.

 

Attablé devant une généreuse portion de brochettes, de salade et de riz, Arash Baslany fronce les sourcils en voyant les images défiler à l'écran. Pas plus tard que dimanche, la soeur de cet homme de 37 ans a été rouée de coups par des policiers. Elle s'était bien malgré elle retrouvée près d'un rassemblement alors qu'elle se rendait chez son médecin.

Elle s'en est tirée avec quelques ecchymoses, mais d'autres n'ont pas eu cette chance. Un décompte officiel a fait état de huit morts dans les manifestations de dimanche à Téhéran et dans les autres grandes villes d'Iran.

«Quand on se rend dans la rue en sachant que notre gouvernement va nous tuer, c'est qu'on est vraiment prêt à tout», affirme M. Baslany,

Les Montréalais d'origine iranienne sont généralement sympathiques au mouvement d'opposition qui a pris la rue après la réélection controversée du président Mahmoud Ahmadinejad. Mais même au bord de la rue Atwater, à des milliers de kilomètres des affrontements, des Iraniens craignent la répression. Certains clients rencontrés à la Maison de Kebab ont préféré ne pas dévoiler leur nom, de peur que leur famille soit prise à partie par les policiers en Iran.

Hormoz, qui a quitté le pays pour le Canada en 1986, craint que le pays ne soit entraîné dans une spirale de violence. Les déclarations incendiaires du président Ahmadinejad à l'égard des manifestants (voir autre texte) sont d'ailleurs loin de laisser présager une détente.

«La plupart des gens souhaitent que la contestation se déroule de manière non violente, mais tout va dépendre de la manière dont le gouvernement y répondra, résume-t-il. Si la répression devient plus violente, la situation pourrait complètement déraper.»

D'autres craignent toutefois que l'absence d'un leader charismatique ne condamne le mouvement d'opposition à un perpétuel recommencement.

«Ce week-end, il y avait des manifestations et qu'est-ce que ça a donné? demande Shahim Bayat. Quelques arrestations, quelques morts, et chaque partie va donner une différente version des faits. Qu'est-ce que ça va donner après? Un autre événement, une autre manifestation et le régime va tuer. La seule chose qu'on peut faire, c'est médiatiser la situation.»