La meilleure défense, c'est bien connu, c'est l'attaque.

Traqué par les partis de l'opposition depuis plusieurs semaines sur de présumés cas de torture de prisonniers talibans sous garde canadienne en Afghanistan, le premier ministre a tenté de faire diversion avec l'une des plus vieilles stratégies politiques: lorsque l'on vous accuse de quelque chose de grave, contre-attaquez avec quelque chose d'encore plus grave. Dans le cas présent, Stephen Harper a donc accusé ses critiques de ternir l'image des soldats canadiens.

«À une époque où certains, dans l'arène politique, n'hésitent pas à lancer les allégations les plus sérieuses contre nos hommes et nos femmes en uniforme, basées sur les preuves les plus minces, souvenez-vous que les Canadiens d'un océan à l'autre sont fiers de vous et vous appuient, et que je suis fier de vous, et que je me tiens à vos côtés», a déclaré M. Harper samedi, à Trinité-et-Tobago, lors d'une apparition soigneusement mise en scène sur un navire de la marine canadienne.

Personne à Ottawa, doit-on le rappeler, n'a visé les militaires canadiens ayant servi en Afghanistan. Les partis de l'opposition veulent seulement faire la lumière sur des cas allégués de torture de prisonniers, une histoire qui entache le décor politique canadien depuis plusieurs années et qui a pris de l'ampleur avec le témoignage d'un diplomate anciennement en poste en Afghanistan, Richard Colvin.

Sortir l'artillerie lourde pour répondre aux questions de l'opposition, ce n'est pas nouveau pour M. Harper. Déjà en 2006, lui et ses ministres accusaient l'opposition d'être des alliés des talibans lorsque celle-ci réclamait la fin de la mission en Afghanistan ou qu'elle posait des questions (eh oui! c'est un «vieux» sujet) à propos du traitement des prisonniers.

Visite sur un navire de guerre; dénonciation véhémente de ses critiques; manque de transparence; diversion; indisponibilité médiatique; appel au patriotisme; cela ne vous rappelle pas quelqu'un?

Un certain W., en effet.

Stephen Harper, plus que jamais, semble s'inspirer des méthodes et du discours de l'ex-président des États-Unis. Pourtant, c'est Barack Obama qui est en train de devenir le meilleur allié de notre premier ministre.

Sur l'environnement, notamment, MM. Obama et Harper sont en train d'accorder leurs violons pour jouer le même air à Copenhague, la semaine prochaine. Il est vrai que les Américains ont bien besoin du pétrole du nord de l'Alberta...

Mais d'abord, sur la question de l'Afghanistan, le président Obama donne au Canada l'occasion parfaite de se retirer de ce bourbier en envoyant 30 000 soldats dans les zones les plus dangereuses pour finir ce que son prédécesseur a commencé il y a plus de huit ans.

On ne pourra accuser le petit Canada de ne pas avoir fait sa part, au contraire. Il a tenu le fort tant bien que mal en attendant la cavalerie

On ne pourra pas accuser non plus Stephen Harper de ne pas respecter la volonté des Communes, qui a voté il y a près de deux ans le retrait de nos troupes en février 2011.

Pour les Canadiens, on a l'impression que c'est tout ce qui compte: remplir notre engagement jusqu'en 2011 et ramener nos troupes épuisées au pays.

Ces histoires de torture de prisonniers talibans agitent énergiquement les Communes depuis quelques semaines, mais éloignez-vous à 100 mètres de la colline parlementaire, et vous constaterez que ce sujet arrive bien loin dans les préoccupations des Canadiens.

C'est triste à dire, mais les affaires internationales et la place du Canada dans le monde intéressent beaucoup plus les médias, les politiciens et quelques intellectuels que l'électeur moyen.

Aux États-Unis, les premières semaines de la présidence de Barack Obama ont été marquées par un furieux débat sur les méthodes d'interrogatoire et les abus des agents américains à l'étranger. Il a même été question d'inculper l'ex-vice-président, Dick Cheney!

Ici ? Bof...

Torture; complicité des autorités canadiennes avec des pays tortionnaires; expulsion abusive; Omar Khadr; les nouvelles règles arbitraires pour rapatrier les Canadiens emprisonnés à l'étranger; tout cela ne semble pas émouvoir le bon peuple, trop préoccupé par la grippe A (H1N1), par l'éventuelle reprise de l'économie et par le magasinage de Noël.

Quelques rares citoyens s'indignent. Les autres, la majorité indifférente, se tait. Il se trouve même pas mal de monde au Canada pour penser que les talibans, torturés ou pas dans les geôles afghanes, ne méritent pas tous ces efforts des partis de l'opposition et n'intéressent que les médias «libéraux» (dans le sens de liberals, en anglais); que le jeune Khadr peut bien crever dans sa prison de Guantánamo; que leurs compatriotes condamnés à l'étranger devraient perdre leur passeport canadien; qu'il est tout à fait normal que l'on veuille expulser un père de famille peinard parce qu'il a vaguement travaillé pour le KGB il y a un quart de siècle...

Harper le sait fort bien. Cela fait même partie intégrante de sa stratégie. On peut en faire tout un plat dans les médias parce que le premier ministre préfère faire des photos avec l'équipe nationale de crosse que de répondre aux questions de l'opposition, le fait est que M. Harper n'a pas perdu de votes à cause de ça.

Quelques jours plus tôt, M. Harper a incité les journalistes «à faire la lumière dans les coins sombres des gouvernements» au cours d'un discours devant l'association des médias ethniques à Toronto... avant de quitter la salle en refusant de répondre à une seule question des journalistes qui voulaient l'entendre sur la controverse des prisonniers talibans.

À part The Globe and Mail, qui s'en est offusqué?

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