La légende veut que le leader de la junte birmane, Than Shwe, soit un homme superstitieux qui recourt régulièrement aux services d'une poignée d'astrologues. Il les consulte notamment pour savoir ce que les astres réservent au prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, qu'il considère comme son ennemie jurée.

Aucune carte du ciel n'était toutefois nécessaire, hier, pour deviner le sort que la justice birmane allait réserver à cette femme qui a passé 14 des 20 dernières années privée de liberté.

 

Tout dans le procès qui s'est conclu hier à Rangoon relève d'une parodie de justice. Un exemple: l'accusée n'a eu droit qu'à deux témoins, contre 14 pour les avocats de l'État. Même sa condamnation théâtrale à trois ans de prison, commuée aussitôt en 18 mois de résidence surveillée - juste assez pour la mettre hors d'état de nuire aux prochaines élections, en 2010 - relevait de la plus pure mise en scène.

Jared Genser, avocat américain qui représente Aung San Suu Kyi sur le plan international, n'était absolument pas surpris du verdict d'hier. «Tout ce procès, c'était du théâtre, le régime voulait donner une image de magnanimité en réduisant la peine cinq minutes après le prononcé de la sentence», s'indigne-t-il.

Mais personne n'a été dupe du stratagème et une pluie de condamnations internationales s'est abattue sur le régime birman dès l'annonce du verdict. De Paris à Washington en passant par Ottawa, la condamnation de cette femme dont le principal crime est d'avoir remporté, en 1990, des élections annulées par la junte, a été décriée sans ménagement.

«Dénoncer, c'est bien, mais maintenant il faut agir», souligne toutefois Elaine Pearson, responsable du dossier birman à Human Rights Watch.

De nombreux pays ont resserré leurs sanctions contre Rangoon après la «révolution de safran» écrasée dans le sang à l'automne 2007. Le problème, selon Mme Pearson, c'est qu'il s'agit d'actions disparates et isolées. Ce qui manque, c'est une action universelle qui ferait vraiment mal aux dirigeants birmans.

Même s'il s'intéresse officiellement au dossier birman depuis quatre ans, le Conseil de sécurité n'a encore adopté aucune résolution menaçant la junte de sanctions si elle n'assouplit pas sa dictature.

Or, selon plusieurs rapports, la Birmanie pose aujourd'hui une menace à la sécurité internationale. Ainsi, depuis une décennie, l'armée birmane a réduit en cendres 3000 villages dont plusieurs habitants ont fui vers des pays voisins, ce qui cause de l'instabilité aux frontières. Des informations plus récentes indiquent que la Birmanie collabore au programme nucléaire de la Corée du Nord.

Si les exactions de plus en plus documentées que le régime birman inflige à sa propre population ne convainquent pas le Conseil de sécurité à serrer la vis à Rangoon, les ambitions nucléaires de la junte lui donnent une bonne poignée pour agir.

La Chine est ici un acteur clé, souligne Mme Pearson, et c'est sur elle que les leaders qui s'indignaient unanimement hier doivent dorénavant faire pression pour faire plier Rangoon. Ne serait-ce qu'en incitant Pékin à voter en faveur d'un embargo sur la vente d'armes à la Birmanie.

Pas besoin d'appeler un astrologue pour deviner que, à défaut d'une action plus ferme à l'égard de Rangoon, Aung San Suu Kyi risque de ne pas revoir la liberté dans un avenir rapproché. Et ses compatriotes non plus.