Depuis que Mohammed Anas Bennis a été abattu par la police, en décembre 2005, sa famille réclame à grands cris les rapports de police et de la Couronne. Maintenant que ces rapports pourraient être accessibles, la famille n'en veut plus.

La famille est persuadée que c'est uniquement par stratégie que la Fraternité des policiers de Montréal se décide enfin à dévoiler les fameux rapports. «Ils veulent utiliser les rapports pour bloquer l'enquête publique du coroner», a fait valoir Me Alain Arsenault, avocat de la famille Bennis, hier matin, en Cour supérieure.

 

Devant le juge Claude Champagne, on s'apprêtait alors à débattre la requête de la Fraternité des policiers de Montréal qui vise à faire annuler la tenue d'une enquête publique du coroner sur la mort du jeune Bennis. Selon la Fraternité, toute la lumière a été faite sur cette affaire, au cours de cinq examens faits successivement par la police de Québec, un procureur de la Couronne de Rimouski, le Commissaire à la déontologie, le Comité de déontologie, et finalement la Cour du Québec, qui a rejeté la plainte privée de la famille Bennis. L'enquête publique, telle qu'ordonnée par la coroner Louise Nolet, est donc totalement inutile, allègue-t-on.

Pour étoffer son point de vue, la Fraternité est prête à déposer tous les rapports en preuve, incluant ceux de la police de Québec (qui a fait l'enquête sur les événements tragiques), et celui du procureur de la Couronne (qui a jugé qu'aucune accusation criminelle ne devait être portée contre le policier qui a tiré, car il a agi en légitime défense).

Mais la famille Bennis pense que le dépôt de ces rapports court-circuitera l'enquête publique. Me Arsenault se demande par ailleurs pourquoi la Fraternité des policiers a pu obtenir ces rapports, alors qu'ils ont été refusés à la famille du défunt. Il a plaidé que, en vertu de la Charte des droits et libertés, tous doivent être égaux.

Le juge Claude Champagne a mis la requête de la famille Bennis en délibéré et rendra sa décision ce matin. Peu importe la décision, la requête de la Fraternité devait ensuite être plaidée au fond.

Rappelons que Mohammed Anas Bennis a été tué par balle le 1er décembre 2005, au cours d'une intervention policière visant des fraudeurs, rue Kent, dans Côte-des-Neiges. Bennis, 25 ans, n'avait rien à voir avec cela. Mais, pour une raison inexpliquée, en sortant d'une mosquée à 7h, il aurait attaqué avec un couteau un policier du SPVM qui participait à l'opération. Le policier, qui aurait été blessé au cou et à la jambe, a répliqué en tirant deux coups de feu, pendant qu'un collègue dégainait lui aussi. La famille n'a jamais cru aux explications officielles.

«C'est difficile de comprendre l'attitude de la famille qui voulait les rapports, et qui ne les veut plus», a pour sa part fait valoir Me Pierre-Yves Boisvert, qui représente la Ville de Montréal. L'avocat a signalé que la famille Bennis a eu beaucoup d'informations, et qu'elle a vu aussi les photos. Elle a aussi posé «50 questions» au commissaire à la déontologie. «Il y a ceux qui ne seront jamais satisfaits des réponses, car ce ne sont pas celles qu'ils veulent entendre», a-t-il dit.

L'un des buts d'une enquête publique est de faire des recommandations pour améliorer la sécurité de la vie humaine. Or, dans le présent cas, la seule recommandation possible est «ne jamais attaquer un policier, et encore moins avec un couteau», lit-on dans la requête de la Fraternité.