L'exil forcé d'Abousfian Abdelrazik est enfin terminé. Le Canado-Soudanais est rentré à Montréal hier soir après avoir passé six ans coincé au Soudan en raison de ses liens présumés avec le mouvement Al-Qaeda.

«Je suis vraiment content d'être de retour à la maison. Merci beaucoup, merci beaucoup. Je suis fier d'être un citoyen canadien», a-t-il déclaré lors d'une courte déclaration à la presse à son arrivée à l'aéroport de Toronto. Vêtu d'une chemise à carreaux blancs et verts, fatigué, Abousfian Abdelrazik a ensuite repris la route en voiture avec ses avocats pour Montréal où l'attendaient sa belle-fille de 25 ans et sa fille de 15 ans qu'il n'avait pas serrées dans ses bras depuis 2003. Quelques dizaines de supporters devaient se rassembler dans la nuit au coin des rues Sainte-Catherine et Saint-Hubert pour l'accueillir.

 

«Ça a été un long voyage, après une longue bataille, mais c'est une grande victoire pour Abousfian», a déclaré hier soir son avocate, Audrey Brousseau. M. Abdelrazik et sa famille ont décliné hier les demandes d'entrevues de La Presse.

Le cauchemar d'Abousfian Abdelrazik, citoyen canadien depuis 1995, débute en 2003 lorsqu'il est arrêté au Soudan au cours d'un voyage auprès de sa mère malade. Au moment où les autorités soudanaises le relâchent, en 2004, son passeport d'urgence est échu et le Canada refuse de lui en émettre un nouveau parce que l'ONU a inscrit entre-temps son nom sur la liste noire des présumés terroristes. Il se réfugie en mai 2008 dans les bureaux de l'ambassade du Canada à Karthoum dans l'espoir d'obtenir enfin les documents officiels qui lui seront toujours refusés jusqu'à la semaine dernière.

L'histoire d'Abousfian Abdelrazik a attiré l'attention de plusieurs organismes et groupes de citoyens, dont Amnistie internationale, qui se sont portés à sa défense. Au cours des derniers mois, ses supporters ont multiplié les actions pour obtenir son rapatriement, allant jusqu'à proposer le remboursement de son billet d'avion. En vain. C'est finalement un jugement de la Cour fédérale canadienne qui lui aura été salutaire. Le 4 juin dernier, le tribunal a sommé le gouvernement Harper de porter secours à ce citoyen coincé à l'étranger et a ordonné à Ottawa de le rapatrier au Canada, à ses frais, avant le 7 juillet. Ottawa a tardé deux semaines avant de confirmer qu'il se plierait au verdict du juge Russel Zin. «Nous avons mis du temps à croire que c'était bien vrai, c'était un rêve qui devenait réalité. Même maintenant, Abousfian a du mal à croire qu'il est bien rentré», disait hier Me Brousseau.

Abousfian Abdelrazik reprendra des forces au cours des prochaines semaines et passera du temps avec sa famille. La possibilité que des poursuites soient entreprises contre le gouvernement n'a pas été écartée, hier, par son avocate. M. Abdelrazik soutient avoir été torturé pendant sa détention au Soudan.

«Ce cas met en lumière des actions extrêmement répréhensibles portées par le gouvernement et discriminatoires envers la communauté musulmane qui fait l'objet d'injustices graves. Il faudra qu'Ottawa en tire des leçons», a affirmé Me Brousseau. Elle compare l'histoire de son client à celle de Maher Arar, ce Canadien d'origine syrienne qui avait été détenu et torturé dans une prison en Syrie. Rapatrié au pays, il a été blanchi de tout lien terroriste à la suite d'une commission d'enquête et a reçu une indemnité compensatoire de 10,5 millions de dollars.

Abousfian Abdelrazik est maintenant un homme libre, Ottawa n'a pas manifesté l'intention de porter des accusations contre lui. Le Conseil de sécurité des Nations unies soutient qu'il a été lié de près à la direction du réseau Al-Qaeda et qu'il a des liens étroits avec un ancien lieutenant d'Oussama ben Laden, qui a recruté des militants et orchestré le réseau de camps d'entraînement en Afghanistan. Mais la Gendarmerie royale du Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité ont tous deux indiqué qu'ils ne retenaient aucune preuve contre lui.

Avec La Presse Canadienne et l'AFP