Un agent de police interpelle une adolescente soupçonnée d'être en fugue dans un parc de Montréal-Nord. À cette heure-là, la jeune fille, qui se cache le visage, devrait être à l'école. Elle refuse de répondre aux questions du policier. L'agent la fait monter dans sa voiture de police. D'autres jeunes observent la scène de loin.

C'est à ce moment que la rumeur est lancée. Car les rumeurs circulent vite à Montréal-Nord. «La police a arrêté une jeune fille pour rien.» Le mot se passe dans les organismes communautaires. Peu de temps après, le téléphone de Rose-Andrée Hubbard se met à sonner.

 

Au bout du fil, des intervenants communautaires inquiets. Mme Hubbard, psychologue d'origine haïtienne, va aux sources au poste de police de quartier. Puis elle rappelle tout le monde: l'adolescente n'était pas en fugue, mais elle refusait de collaborer. Elle a été conduite chez elle. Et ses parents ont été rencontrés.

Fin de la rumeur.

Rose-Andrée Hubbard est l'«agente de concertation» du PDQ 39. Elle n'est pas policière. Elle est issue du milieu communautaire. Elle a été embauchée quelques mois après l'émeute de Montréal-Nord pour «consolider les liens entre la police et la communauté». Mais, précise-t-on à la police, le projet était dans l'air bien avant l'émeute.

«Après une intervention policière, les gens hésitent à nous appeler pour savoir ce qui s'est réellement passé, alors les rumeurs continuent de circuler, raconte le commandant du PDQ 39, Roger Bélair. Avant, ça pouvait prendre plusieurs jours avant que les rumeurs remontent à nous. Maintenant, l'information circule dans la même journée grâce à Mme Hubbard.»

»Pourquoi tant de policiers?»

En entrevue à La Presse cette semaine, le commandant Bélair et Mme Hubbard ont abordé du bout des lèvres les «événements de Montréal-Nord». Question de ne pas nuire à l'enquête publique du coroner sur la mort de Fredy Villanueva, abattu par un policier le 9 août dernier dans un parc du quartier. Cette enquête débute lundi.

«On peut dire que tout Montréal-Nord est sensible. Tout le monde a des choses à améliorer. Il y a une confiance à rétablir ou à consolider», explique Mme Hubbard, 37 ans. L'une des premières choses qu'elle a faites en entrant en poste, c'est de patrouiller avec les agents du PDQ 39. «Certaines fois, ils font de très bonnes interventions qui peuvent avoir des conséquences dans la communauté. La communauté peut mal les interpréter», souligne-t-elle.

La population de Montréal-Nord lui pose souvent la même question depuis qu'elle est en poste. «Pourquoi tant de voitures de police? Pourquoi tant de policiers sur les lieux quand un jeune est arrêté dans un quartier résidentiel?» Mme Hubbard relaie les questions aux policiers. Et parfois, ils se rendent compte que «l'impact social» de leur intervention a été négatif, même si l'intervention était justifiée.

Mme Hubbard s'est aussi rendu compte d'une différence majeure entre les agents patrouilleurs et les agents «sociocommunautaires». «Les patrouilleurs ne savent pas ce que les organismes communautaires peuvent apporter après une intervention policière», explique la femme arrivée au Canada il y a six ans à peine.

La psychologue leur rappelle que les «retours» sur une intervention policière auprès de la communauté sont aussi importants que l'intervention elle-même. Quand des vendeurs de crack sont arrêtés dans un immeuble à logements, les autres locataires doivent être rassurés par la suite.

«Les gens veulent connaître leurs patrouilleurs. Ils ne veulent pas voir des policiers d'autres secteurs sur le terrain», indique Mme Hubbard sans vouloir montrer du doigt l'escouade Éclipse, connue pour ses interventions musclées dans sa lutte contre les gangs de rue.

Et les agents patrouilleurs du PDQ 39 sont représentatifs des minorités du quartier, a découvert Mme Hubbard. Il y a le même pourcentage d'Italiens au poste que dans la population. Constat similaire chez les Haïtiens, les Latino-Américains et les Arabes.

Éducation des citoyens

Mme Hubbard vante le programme COOP du SPVM qui débutera le mois prochain dans Montréal-Nord, puis sera étendu aux autres postes de quartier. Ce projet pilote offre à la population une série d'ateliers sur le rôle de la police, les lois, l'emploi de la force qui culminent par une vraie patrouille avec des policiers (cobra). Déjà, lors du lancement du projet dans une école du quartier, vendredi dernier, les jeunes en avaient long à dire sur le profilage racial et sur le manque de respect de certains patrouilleurs, note l'intervenante sociale.

Le commandant Bélair, qui travaille dans le quartier depuis cinq ans, insiste sur le fait que le PDQ 39 ne partait pas de zéro. Des actions de visibilité, comme la patrouille à pied et à vélo, sont faites depuis des années. «Les événements de Montréal-Nord ont mis en lumière des choses sur lesquelles on n'a pas assez insisté, mais on créait déjà des liens avec la communauté», dit le policier de 47 ans.

«L'agent de concertation vient faciliter nos approches. Des gens peuvent hésiter à parler à la police, alors Rose-Andrée vient nous aider. Elle ouvre une porte plus large», ajoute le commandant Bélair. Est-ce que l'ajout d'une «agente de concertation» dans chaque poste de quartier évitera un nouveau soulèvement social? «On a amorcé quelque chose et le résultat est prometteur», croit Mme Hubbard.