«C'est facile de mettre une autoroute à terre, à Atlanta, quand tu en as 14 ou 15 autres qui traversent la ville. Ce n'est pas comme ça, à Montréal.»

Le sous-ministre adjoint du ministère des Transports du Québec (MTQ), responsable de la région métropolitaine, Jacques Gagnon, n'a pas apprécié les critiques faites à l'endroit des projets autoroutiers de son ministère par deux ingénieurs d'Atlanta, Ian Lockwood et Paul Moore, en visite à Montréal la dernière semaine.

 

En entrevue à La Presse hier, M. Gagnon a défendu la transformation de la rue Notre-Dame, dans l'Est, et la reconstruction de l'échangeur Turcot, dans le Sud-Ouest, comme des projets routiers visant à répondre aux besoins de la population et des entreprises de la métropole.

«Je ne peux pas concevoir que deux ingénieurs d'Atlanta, deux spécialistes en transport, puissent venir passer deux jours à Montréal, faire une visite de nos autoroutes, et venir nous dire après ça que les solutions aux problèmes que nos spécialistes étudient depuis 10 ans ne sont pas les bonnes. Ça me dépasse un peu», a soutenu M. Gagnon.

La Presse a fait état hier des critiques peu élogieuses des deux ingénieurs à l'endroit des projets Notre-Dame et Turcot, et du nouveau pont de l'autoroute 25 en construction entre Montréal et Laval. MM. Lockwood et Moore ont estimé que ces projets, d'un coût total de plus de 3,5 milliards, vont «faire mal» à Montréal.

M. Gagnon a répliqué que les deux ingénieurs invités n'étaient pas au fait «de la complexité du projet Notre-Dame», qui permettra à la fois de canaliser la circulation de transit de quartiers périphériques vers les voies rapides, en plus d'assurer les mouvements des milliers de camions qui entrent et sortent chaque jour du port en empruntant cette grande artère de l'Est.

Quant au projet Turcot, dit-il, «les gens ne voient plus que les remblais» sur lesquels seront reconstruites les nombreuses voies routières de l'échangeur, actuellement perchées à 10 ou 30 mètres de hauteur, sur des structures de béton.

«Il faut peut-être rappeler que cet échangeur relie deux des plus importantes autoroutes de Montréal (Décarie et Ville-Marie), ajoute M. Gagnon, et que ces liens-là doivent être absolument maintenus pour préserver la santé économique de la métropole.»

Des modèles qui ont échoué

Ian Lockwood et Paul Moore sont spécialisés dans l'intégration des projets routiers et des transports en commun en milieu urbain. Leur approche s'apparente à celle du «New Urbanism» ou de l'école «Smart Growth», qui privilégie la construction d'infrastructures routières «à dimension humaine» de préférence aux autoroutes, et la continuation des trames urbaines de rues, au lieu de la canalisation du trafic sur des liens routiers à grande vitesse.

Invités par la Direction de la santé publique de Montréal à prendre la parole lors d'un atelier sur la «requalification des autoroutes urbaines» qui se tenait hier au centre-ville, ils ont soumis «quelques idées», nées de leur bref séjour dans la métropole, tout en insistant sur les limites de cet exercice.

«Nous sommes seulement ici depuis trois jours, a souligné M. Moore. Nous ne connaissons pas votre communauté. Nous n'avons pas passé un an à étudier les problèmes du réseau routier. Nous ne connaissons pas vos problèmes.»

«Par contre, a expliqué M. Lockwood, on peut reconnaître, dans les projets autoroutiers proposés par le MTQ, des modèles déjà observés avant, et ailleurs. Et qui ont échoué. Dans certains cas extrêmes, comme Detroit ou Houston, les résultats ont été catastrophiques. Les villes se sont vidées au profit des banlieues.»

L'ingénieur a ainsi tenu à répéter qu'aucune ville n'est jamais arrivée à régler ses problèmes de congestion routière en construisant ou en élargissant des autoroutes, comme Montréal s'apprête à le faire en élargissant la rue Notre-Dame, qui passera de quatre à huit voies de circulation, et le pont de l'A-25, vers Laval.

Paul Moore a pour sa part commenté le projet de reconstruction de l'échangeur Turcot en superposant des vues aériennes du grand échangeur avant et après sa reconstruction, en soulignant que «ce sera le même échangeur, mais plus bas».

Un projet différent, a-t-il expliqué, pourrait prendre appui sur les immenses terrains vagues qui seront libérés lors de la démolition des structures, et pourrait prendre la forme d'un réseau de rues pouvant chacune accommoder des flots de circulation importants sans chasser piétons et cyclistes de leurs abords.

«Mais pour qu'un projet de cette envergure réussisse, a-t-il souligné, la population doit être plus que consultée. Elle doit être mise à contribution dès le début.»

Pour «repenser» ses autoroutes, Montréal a besoin d'imaginer ce qu'il sera dans 50 ans, a dit M. Lockwood. «Quel genre de ville voulez-vous vraiment avoir? Et que faut-il faire, étape par étape, pour se rendre là.»