Les budgets alloués aux repas servis aux patients dans les hôpitaux québécois ne cessent de diminuer. Si bien que, aujourd'hui, les établissements de santé de la province doivent produire trois repas par jour avec 6 $.

«Les contraintes financières sont énormes. La diététique est le parent pauvre du milieu de la santé», affirme Denise Ouellet, professeure au département des sciences des aliments et de nutrition de l'Université Laval.

Les dernières compressions majeures dans les services alimentaires des hôpitaux remontent à 1997. Cette année-là, le gouvernement a voulu sabrer dans les dépenses. Il a diminué de 35% les subventions à l'hôtellerie dans les hôpitaux, ce qui inclut la buanderie, l'entretien ménager et la nourriture servie aux patients.

Les épidémies de maladies nosocomiales un peu partout au Québec ont forcé le gouvernement à réinvestir dans l'entretien ménager. «Mais il n'y a eu aucun réinvestissement majeur en nutrition depuis 10 ans», note Mme Ouellet.

Les subventions pour les repas dans les hôpitaux n'ont pas non plus été indexées depuis 1997. «S'il y avait indexation, on devrait être au moins à 7,02 $ par jour par établissement pour les repas, dit le président de l'Ordre professionnel des diététistes du Québec (OPDQ), Michel Sanscartier. Avec les sommes accordées actuellement, il faut faire plus que des acrobaties pour réussir à combler les besoins nutritionnels des patients.»

Coordonnatrice à la gestion des menus au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), Nathalie Beaulieu souligne qu'elle dispose de moins en moins d'argent pour établir ses menus. Elle refuse pourtant de s'en plaindre. « Ça nous force à être créatifs. Quand on reçoit notre budget, on se lance le défi de faire le plus possible avec ça », dit Mme Beaulieu. Elle assure que, malgré le peu d'argent disponible, la qualité des repas est toujours au rendez-vous.

Avec l'augmentation constante du prix des aliments, les établissements de santé doivent cependant trouver des moyens économiques de nourrir leurs patients.

Le résultat est parfois surprenant. Ainsi, l'hôpital Maisonneuve-Rosemont parvient à servir du boeuf à l'estragon de bonne qualité sans défoncer le budget de 2 $ pour l'assiette entière.

Certains établissements n'hésitent toutefois pas à sabrer dans les nutriments pour arriver à boucler leur budget. «Dans certains centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), on alloue seulement 1$ pour les aliments dans l'assiette. Ce n'est pas suffisant pour combler les besoins nutritionnels des personnes âgées», déplore Mme Ouellet.

Nourrir les patients est d'autant plus difficile que la clientèle a beaucoup changé depuis 10 ans. «Les gens sont de plus en plus malades», dit M. Sanscartier.

Pour répondre à leurs besoins nutritionnels, il faut préparer des menus thérapeutiques, par exemple sans sel ou sans gras, en plus du menu ordinaire.

«En 2000, nous avions 40% de menus thérapeutiques et 60% de menus normaux. En 2008, c'est l'inverse», explique Mme Beaulieu, du CHUM.

Les suppléments alimentaires sont aussi de plus en plus en demande. « On parle des Boost et des autres breuvages avec des suppléments. Un nombre croissant de patients en ont besoin. Ces produits coûtent cher », rappelle la directrice des services hospitaliers du CHUM, Myriam Giguère.

Guérir en mangeant

Plusieurs intervenants rencontrés par La Presse déplorent que le gouvernement n'investisse pas plus pour les repas servis aux patients. «C'est important, la nourriture. Ça fait partie du traitement de nos patients!» dit Norma Ishayek, chef du service de diététique de l'Hôpital général juif de Montréal.

«Le gouvernement dit que la nourriture n'est pas un soin. C'est un gros problème», ajoute Mme Ouellet.

Selon M. Sanscartier, les patients mal nourris mettent plus de temps à guérir et coûtent plus cher au système de santé. «Ils attrapent des infections plus facilement, dit-il. Si on investit dans l'alimentation, le réseau va s'en porter mieux. En 1998, des chercheurs avaient calculé qu'on pourrait fermer un hôpital grand comme le CHUM si on investissait massivement dans la nourriture servie aux patients.»

En plus de souhaiter des investissements accrus du gouvernement dans l'alimentation hospitalière, M. Sanscartier aimerait que l'attribution des budgets soit modifiée. «Au lieu d'attribuer une certaine somme par repas, on voudrait que les nutriments qui se retrouvent dans les assiettes soient subventionnés», plaide M. Sanscartier.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on est peu bavard en ce qui concerne l'allocation des budgets pour la nourriture des patients.

«On ne décide pas vraiment de la somme exacte attribuée par repas. On me dit que c'est plutôt les Agences de la santé et de services sociaux (ASSS) et les hôpitaux qui décident eux-mêmes des sommes allouées...» dit la porte-parole du MSSS, Marie-Claude Gagnon.

La coordonnatrice du Plan d'action gouvernemental de promotion des saines habitudes de vie au MSSS, Lyne Mongeau, reconnaît que les budgets sont minimes. «C'est sûr que nous avons des préoccupations. On sait que les budgets sont limités», dit-elle.

Pour M. Sanscartier, les sommes attribuées aux repas des patients devraient être augmentées dès maintenant. «Manger bien quand on est malade, c'est une question de santé, de plaisir et de dignité», lance-t-il.