À la demande des médecins spécialistes, le projet du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) sera revu. Plus de lits, plus d'espace Plusieurs éléments pourraient être modifiés. Afin de savoir à quoi devrait ressembler le futur CHUM, La Presse a visité trois hôpitaux semblables dans le monde. Après la visite de l'hôpital Northwestern de Chicago, du University College Hospital de Londres, voici le cas de l'hôpital universitaire Georges-Pompidou à Paris.

À en juger par le récit que fait Louis Omnès de la création de l'hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), on peut prédire que les promoteurs du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) ne sont pas au bout de leurs peines.

L'ex-directeur dresse une analogie entre l'histoire de l'établissement, issu de la fusion de quatre importants hôpitaux, et celle de... Jésus de Nazareth.

Il a d'abord connu «une conjuration préparatoire à la condamnation, puis une trahison, des chutes successives en ployant sous le poids de la croix, enfin une crucifixion médiatique... avant la résurrection que les croyants peuvent constater aujourd'hui», écrit M. Omnès dans un ouvrage consacré à son expérience.

«Le projet de construction a été approuvé en 1992 et a été terminé en 2000... Comparativement au CHUM, c'est une performance incroyable!» blague en entrevue à La Presse ce gestionnaire d'expérience, qui a failli être recruté comme consultant pour les projets québécois de superhôpitaux, il y a quelques années.

Difficile de percevoir la moindre trace du passé qu'il évoque en visitant l'HEGP, construit au bord de la Seine, dans le 15e arrondissement de Paris.

Médecins et infirmières vont et viennent dans le calme, passant d'un bâtiment à l'autre par l'avenue centrale vitrée qui chapeaute l'ensemble de 120 000 m2 conçu par l'architecte Aymeric Zublena.

Dans les corridors, des «valises» automatisées circulent sur des rails fixés au plafond, acheminant vers le laboratoire central, hautement robotisé, les échantillons biologiques. Les résultats d'analyse sont retournés illico dans le dossier électronique des patients de l'hôpital, l'un des plus avancés en matière d'informatisation.

«Ici, il n'y a plus de papier. Avant, j'aimais bien griffonner avec un crayon, mais ce n'est plus possible. Tout passe par l'ordinateur», souligne le chef du pôle cardiovasculaire, Alain Deloche, qui partage son temps entre l'HEGP et des hôpitaux de pays en développement où il vient en aide à de jeunes enfants.

«Quand je vais au Sénégal, il y a une année-lumière d'écart avec ce que je vois ici», souligne le spécialiste, qui s'émerveille du silence relatif qui règne dans l'établissement parisien, doté de 815 lits.

Conçu pour les malades

«Les patients ont l'impression d'être à l'hôtel jusqu'à ce que quelqu'un du personnel soignant vienne cogner à leur porte... Ils bougent très peu. Ici, tout a été fait pour les malades, pas pour les médecins», résume-t-il.

Le changement d'environnement et d'approche n'a pas été facile à apprivoiser pour tout le monde. «Pour certains, ç'a été un malaise existentiel terrible», souligne le Dr Deloche.

«Quand on investit dans un projet de cette ampleur, on a trop tendance à considérer que c'est un investissement immobilier. Or, c'est d'abord une nouvelle organisation que l'on construit», souligne M. Omnès, qui insiste sur l'importance de bien préparer le personnel.

«La plus grande difficulté est de créer une nouvelle identité», souligne le gestionnaire, qui affirme avoir eu fort à faire pour convaincre les praticiens des établissements fusionnés de travailler de concert.

Ironiquement, deux des hôpitaux à réunir, Laennec et Boucicaut, portaient le nom de médecins bretons qui avaient passé leur vie à s'ignorer ou à s'invectiver.

La directrice actuelle de l'HEGP, Élisabeth de Larochelambert, souligne que les frictions liées à la provenance du personnel se sont considérablement estompées. «Il y a eu beaucoup de départs à la retraite. Et les nouveaux employés n'ont pas de lien avec les anciens établissements», souligne-t-elle.

Le souci du détail

L'intérêt apporté à la préparation du personnel n'enlève rien à l'importance du côté matériel de l'entreprise, souligne M. Omnès, qui insiste sur la nécessité de préparer le projet hospitalier dans ses moindres détails.

Il faut notamment, insiste-t-il, chercher à prévoir quelles seront les technologies requises dans chaque pôle d'activité et aménager l'espace en conséquence pour éviter de coûteux réaménagements architecturaux.

La qualité des systèmes de soutien (électricité, chauffage, etc.) est aussi essentielle. L'établissement l'a constaté à ses dépens lorsque, peu après son ouverture, il a été frappé par une épidémie de légionellose imputable au système d'eau chaude.

Les gestionnaires se sont aussi longuement interrogés sur la place à accorder au secteur privé dans le projet. Le partenariat avec le secteur privé n'a pas été envisagé, car la construction devait être financée par la vente des terrains des hôpitaux à fusionner.

Plusieurs services ont cependant été confiés en sous-traitance, comme les repas. «Dans ce domaine, il faut éviter le dogmatisme et trouver les activités susceptibles d'être mieux prises en charge par le privé», dit M. Omnès, qui insiste sur la nécessité de «garder un contrôle étroit» sur les services sous-traités.

S'arrimer au reste du réseau

Il ne faut pas non plus négliger la façon dont le nouvel établissement s'arrime au reste du réseau de santé. Selon Mme de Larochelambert, la situation financière de l'HEGP est compliquée à l'heure actuelle par le manque, dans la région, de lits de moyenne et longue durée.

Faute de pouvoir transférer certains patients aussi vite que le permettrait leur condition médicale, l'établissement peut réaliser moins d'interventions et reçoit moins d'argent de l'État, ce qui contribue à un manque à gagner annuel de plusieurs dizaines de millions de dollars.

Au dire de la directrice de l'HEGP, une réorganisation régionale est en cours pour permettre de résoudre le problème, ce qui devrait permettre à l'hôpital - et à ses 24 blocs opératoires - de finalement fonctionner à plein régime.

L'hôpital a aussi été miné depuis un an par l'impact d'un incident électrique qui a réduit sa capacité d'accueil.

Les médias français ont peu parlé de cet épisode. Un silence relatif qui témoigne notamment du fait que les employés se sont «serré les coudes» pour éviter que l'image de l'HEGP ne soit malmenée comme lors de l'épisode de la légionellose.

À l'époque de la construction, l'établissement était la cible de toutes les rumeurs, certains médias allant même jusqu'à prédire, dans un épisode burlesque, qu'il risquait de s'enfoncer dans la Seine en raison d'un problème de fondations.

«On ne peut pas éviter la rumeur sur un projet comme celui-là. Dès que c'est grand, ça fait peur», souligne Louis Omnès.

L'HÔPITAL UNIVERSITAIRE GEORGES-POMPIDOU

> Superficie: 120 000 m2

> 805 lits

> 3200 employés, dont 400 médecins

> Coût de construction: 423 millions de dollars

> 226 425 consultations par année

> L'hôpital dessert près de 600 000 habitants du Sud-Ouest parisien