Farouchement opposé à l'avortement, le cardinal Jean-Claude Turcotte a posé un geste d'éclat pour protester contre la nomination du docteur Henry Morgentaler au sein de l'Ordre du Canada: il a renoncé à sa propre distinction d'officier.

Déçu de l'attitude de la classe politique et de la société québécoise, l'archevêque de Montréal a choisi de remettre son insigne de l'Ordre dans l'espoir de lancer une réflexion sur le respect de la vie humaine.

«J'ai beaucoup de respect pour l'Ordre du Canada, je regrette infiniment mais je ne peux pas être d'accord avec la décision qui a été prise», a déclaré le cardinal en conférence de presse, jeudi à Sainte-Anne-de-Beaupré, après avoir affirmé que le docteur Morgentaler était associé à un progrès social «très discutable».

A ses côtés, le cardinal Marc Ouellet s'est montré plus virulent à l'égard de celui qui a mené une longue lutte pour la légalisation de l'avortement.

«Vous en faites un héros national alors que ce qu'il défend heurte très profondément et soulève l'indignation d'une grande partie de la population, alors là, il y a des limites et il faut protester», a-t-il dit, en précisant que l'Assemblée des évêques catholiques du Québec appuyait la démarche de Monseigneur Turcotte.

Ce dernier a reçu l'insigne de l'Ordre du Canada en 1996 des mains du gouverneur général de l'époque, Roméo Leblanc.

Monseigneur Turcotte soutient qu'il était à l'extérieur au moment où la gouverneure générale Michaëlle Jean a annoncé la nomination du docteur Morgentaler au sein de l'Ordre, en juillet dernier.

«Mon silence pourrait être mal interprété et je me sens obligé en conscience de réaffirmer mes convictions face au respect de la vie», a-t-il expliqué, tout en déplorant le nombre d'avortements à la hausse au Canada.

Le cardinal ne s'est pas gêné pour faire des reproches à la société québécoise, qu'il accuse de banaliser l'avortement, en soutenant que «là-dessus, j'ai peur que la réflexion des gens ne soit pas très, très profonde, particulièrement au Québec».

Disant lancer un cri du coeur et un appel à la conscience, il n'a pas non plus ménagé la classe politique québécoise, critiquant l'Assemblée nationale pour avoir adopté unanimement une motion contre le projet de loi fédéral sur les enfants non encore nés victimes d'actes criminels, qui est finalement mort au feuilleton à Ottawa.

A ce sujet, Monseigneur Martin Veillette, président de l'Assemblée des évêques du Québec, s'est dit troublé de l'automatisme avec lequel les parlementaires de l'Assemblée nationale ont écarté tout débat en se basant «sur un supposé consensus social».

«Ce refus d'envisager que le foetus est un être humain et qu'il puisse avoir des droits nous inquiète profondément», a-t-il déclaré, ajoutant que l'honneur accordé à Henry Morgentaler constitue «un symptôme de malaise profond».

Par ailleurs, le cardinal Turcotte s'est défendu de faire coïncider sa sortie avec l'actuelle campagne électorale fédérale.

Même s'il a affirmé qu'il n'avait pas l'intention de se mêler de politique, il a toutefois conseillé aux électeurs de tenir compte de la position des partis sur l'avortement.

«Je pense que cette question du respect de la vie doit aussi comporter une réflexion pour l'électeur qui va choisir le parti pour lequel il doit voter. Ce n'est pas à moi de lui dire quel est le parti qui selon mon opinion a la meilleure position, c'est à chaque électeur de choisir», a-t-il lancé.

Le cardinal Turcotte n'est pas le premier à retourner son insigne de l'Ordre du Canada dans un geste de protestation contre l'honneur accordé au docteur Morgentaler.

Un prêtre de Colombie-Britannique, Lucien Larre, honoré en 1983, a remis sa médaille, tout comme, à titre posthume, la communauté catholique Madonna House, en Ontario, au nom de sa fondatrice Catherine Doherty, qui avait été décorée de l'insigne en 1976.