Près d'un élève québécois du secondaire sur quatre (23,1 %) dit avoir été victime de violence physique ou psychologique de la part d'autres jeunes de son école.

C'est ce que révèle un sondage Segma-Gesca-La Presse qui, aujourd'hui et demain dans nos pages, présente ce que pensent les jeunes de l'école secondaire et ce qu'ils y vivent.

La violence psychologique est nettement plus répandue dans les écoles, à en croire nos 603 répondants des quatre coins du Québec : 19,8 % disent en avoir été victimes (qu'il s'agisse d'intimidation, de cyberintimidation ou de taxage) comparativement à 7,5 % pour ce qui est de la violence physique. Certains ont été victimes des deux types de violence.

Étonnamment, près du tiers des victimes de violence (qu'elle soit physique ou psychologique) sont incapables d'identifier une cause précise à ce qu'ils ont subi. «Pour une victime sur trois (32,1 %), cette violence est gratuite, sans raison apparente autre qu'un conflit interpersonnel mal défini», note Raynald Harvey, président de Segma. Autrement, c'est sur l'apparence physique (à 19,6 %) ou sur l'appartenance à un groupe d'amis en particulier (18 %) que les élèves s'intimident les uns les autres.

Le sondage met par ailleurs à mal certaines idées reçues voulant que les bagarres et autres règlements de compte aux poings soient l'apanage des garçons et que les filles donnent plus dans le crêpage de chignons. En fait, les filles et les garçons se disent victimes de violence physique dans les mêmes proportions et les victimes de violence psychologique sont tout aussi nombreuses chez les garçons que chez les filles.

Même si la violence physique est moins répandue que la violence psychologique, on aurait tort de la minimiser, dit Jean-Pierre Proulx, professeur à la faculté des sciences de l'éducation à l'Université de Montréal. «Que seulement 7,5 % d'élèves soient victimes de violence physique, ça apparaît peu et ça nous porte à croire que les médias en mettent un peu quand ils font de grosses séries sur la violence à l'école. Mais quand on fait un petit calcul par rapport au nombre d'élèves qui fréquentent le secondaire, ça fait beaucoup, beaucoup de jeunes.» Si l'on extrapole, quelque 35 000 jeunes ont été victimes de violence physique dans les écoles secondaires du Québec.

Peu d'homophobie

Ce qui étonne particulièrement quand on y regarde de près – outre le fait que le racisme semble très peu répandu (3,7 % s'en disent victimes) – c'est que de toutes les causes de violence, celle liée à l'orientation sexuelle arrive au dernier rang. À peine un petit 0,8 % s'en dit victime. Presque terminées, ces histoires de «tapette» au secondaire ? Laurent McCutcheon, président de Gai Écoute, se montre agréablement surpris, mais ne crie pas victoire pour autant. «On a beaucoup travaillé avec le syndicat des enseignants pour lutter contre l'homophobie au primaire et au secondaire et c'est sûr qu'il y a eu progrès. En témoigne le fait que de plus en plus de jeunes se disent ouvertement gais à l'école secondaire, chose qui ne se faisait pas il y a encore quelques années. Ceci étant dit, il n'est pas impossible, dans le sondage, que des jeunes hétérosexuels disent avoir été harcelés en raison de leur apparence physique, parce qu'ils sont plus frêles ou efféminés.»

Ou alors... simplement parce qu'ils font de la gymnastique de compétition. C'est ce qui est arrivé à Frédéric, un élève de la Montérégie qui n'est ni gay ni délicat. Très costaud, en fait. «Il y a des gars dans ma classe qui s'étaient mis à me lancer des objets et à me crier que j'étais gai. Je leur ai dit d'arrêter. Ils ont continué. Je suis allé voir le directeur. Les gars ont eu une rédaction de 3000 mots à faire sur le mot «gai» et leurs parents ont été avertis. Après ça, ça a arrêté. Le directeur a fait une belle job, je trouve.»

Adrian, qui fréquente une polyvalente de l'ouest de Montréal, pense, lui, que l'homophobie est vraiment rare à son école. «J'ai un ami avec qui je me tiens tout le temps et qui s'est déclaré gai. Une fois, à la cafétéria, il y avait une gang de personnes qui ont commencé à l'insulter, mais c'est arrivé juste une fois. Pas plus.»

Pas d'homophobie, ce qui ne veut pas dire que la violence psychologique soit absente de cette polyvalente, comme l'illustre bien Alexandra, qui fréquente la même école.

Y a-t-il un souffre-douleur, dans ta classe ? «Oui, répond-elle. C'est une fille qui se pense bonne, supérieure.» C'est tout ce qu'on lui reproche ? «Non, l'affaire, c'est qu'elle pue. Tu sais, elle est Maghrébine. Ça fait que nous, on lui crie des noms et elle nous frappe. Et plus elle nous frappe, plus on lui crie des noms.»

Les élèves se sont-ils mis sur son cas en raison de son origine ethnique, de son apparence ou seulement «parce qu'elle se pense bonne» ? Difficile à dire et difficile de cibler cette violence gratuite, aux contours mal définis dont se sont dits victimes plusieurs des jeunes de notre échantillon.

Égide Royer, un professeur à la faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval qui a beaucoup travaillé sur les questions de violence à l'école, insiste sur l'importance, pour les écoles, de mettre en place des politiques bien précises sur la violence, assorties de personnes ressources vers qui les jeunes savent qu'ils peuvent se tourner.

«Tout ça, ça évite plus de 85 % des problèmes. Au-delà de ça, il y aura toujours des cas isolés de bitchage qui exigent des interventions directes auprès des jeunes qu'il faut menacer de conséquences en cas de récidive. Enfin, dans une grosse école, il reste souvent environ 3 % de grands gars de 15 ou 16 ans qui lisent comme des enfants de sixième année et qui sont absolument imperméables aux campagnes antitaxage. Ceux-là finissent par être expulsés.»