Le 5 juillet dernier, Marc-Antoine Bernier mourait de façon tragique. Pourchassé par des policiers, le jeune homme de 14 ans est mort dans les eaux de la rivière des Prairies, au volant de la voiture qu'il conduisait. Comment un adolescent, autrefois premier de classe, a-t-il pu connaître une fin aussi sordide? Le 17 juillet, jour où il aurait dû célébrer son 15e anniversaire, La Presse a rencontré ses parents. Avec notre journaliste, ils ont parlé de leur peine et de leurs nombreuses questions restées sans réponse.

Assis dans la cour de leur bungalow d'Ahuntsic en ce 15e anniversaire qui n'en est plus un, Josée Bastien et Gilles Bernier se remémorent le parcours en dents de scie de l'aîné de leurs deux enfants. Ils tentent de comprendre l'incompréhensible. Le 5 juillet dernier, vers 1h10, au volant d'une Ford Taurus verte volée, Marc-Antoine Bernier a plongé dans la rivière des Prairies, à la hauteur de la 89e Avenue. En fugue du centre d'accueil Cité des Prairies depuis quelques heures, il tentait d'échapper aux policiers qui l'avaient pris en chasse à partir du boulevard Rodolphe-Forget, à Rivière-des-Prairies. Pendant cette poursuite d'un peu plus de quatre kilomètres sur le boulevard Gouin, l'adolescent de 14 ans, qui n'avait jamais conduit de sa vie, aurait roulé à haute vitesse, sans respecter la signalisation. Après avoir bifurqué sur un terrain vague, la voiture a pris son envol du haut d'un petit précipice, et s'est retrouvée à l'envers dans l'eau, à demi submergée, à une cinquantaine de pieds de la rive. Marc-Antoine a péri noyé. Son cadavre se trouvait toujours à l'intérieur de la voiture, près de la lunette arrière, quand les maîtres plongeurs l'ont repêché, une dizaine d'heures plus tard. Comme ce sont des policiers du Service de police de Montréal qui ont été impliqués dans la poursuite (qui aurait cessé quelques secondes avant la chute fatale), l'enquête a été confiée à la Sûreté du Québec, question de transparence.

En attendant les résultats de cette enquête, les questions se bousculent dans la tête des parents. Des questions au sujet de la fin tragique de Marc-Antoine, mais aussi sur sa vie, son être profond. Pourquoi cette attirance vers le trouble?

Comment un enfant si doué, et de l'avis général, très attachant, peut-il dériver à ce point à l'adolescence? «Il avait une urgence de vivre, mais on sentait tout le temps le danger. On aurait dit qu'il était allergique au bonheur», dit son père. Ce n'est pas d'aujourd'hui que les parents tentent de comprendre. Désemparés devant les agissements de leur fils, ils ont fait appel à de nombreuses ressources depuis trois ans. Trois travailleurs sociaux, un intervenant de crise, un pédopsychiatre et un centre jeunesse ont été mis à contribution, sans compter les thérapies ici et là. «Tant d'adultes autour de lui, et ça n'a pas fonctionné. Personne n'a vu la gravité. La fatalité nous guettait», se désole sa mère.

Avec le recul, les parents se demandent s'il aurait fallu y voir les signes avant-coureurs d'un trouble psychiatrique précis, par exemple la maniaco-dépression.

«Je n'ai pas honte de le dire, il y a deux cas dans ma famille. Mais ils ont pu mener leur vie et il n'y a jamais eu de violence», explique Gilles Bernier.

De toute façon, personne n'a mis le doigt sur le bobo et on ne le saura jamais maintenant.

Un élève brillant

Marc-Antoine a toujours été un enfant très exigeant, qui défiait l'autorité, se rappelle Mme Bastien. À 6 ans, alors qu'il était en punition dans sa chambre pour une bêtise, il était sorti en catimini par la fenêtre et avait erré seul dans les rues du quartier. Malgré tout, l'enfance s'est passée sans trop de heurts. Écolier brillant, il a fait tout son primaire à l'école Fernand-Séguin, un établissement d'Ahuntsic pour enfants doués. «On l'appelait «le scanner», raconte son père. Il lisait quelque chose et retenait tout facilement. Il pouvait lire un Harry Potter en deux soirs. Il avait toujours des notes au-delà des attentes, sans qu'on ne force rien.»

Avec un aussi bon parcours scolaire, Marc-Antoine a été accepté sans peine au collège privé Mont-Saint-Louis. Mais la transition du primaire au secondaire a été catastrophique. Au collège, il s'est mis à contourner les règlements, à être turbulent et à accumuler les rapports négatifs. À la maison, il n'écoutait pas, se disputait avec sa soeur cadette, se rebellait constamment. La famille demeurait dans un cinq pièces.

Croyant que plus d'espace et d'intimité seraient bénéfiques à leurs deux enfants qui entraient dans l'adolescence, les parents ont déménagé dans un bungalow, avec piscine dans la cour. Marc-Antoine disposait maintenant d'une belle grande chambre au sous-sol et d'une salle de bains adjacente. Mais le déménagement n'a pas eu les effets escomptés. Marc-Antoine continuait sur la pente descendante. Il a été renvoyé du collège pendant sa deuxième année du secondaire, et s'est retrouvé à l'école publique Louis-Joseph-Papineau. En plus de consommer de la drogue, il en vendait à l'occasion. Les parents consultaient des professionnels et naviguaient entre les conseils des uns et des autres. Un jour on leur disait qu'ils étaient trop stricts, un autre, on leur recommandait de serrer la vis. «On pagayait là-dedans», dit la mère. À travers tout cela, ils tentaient d'encourager leur fils à renouer avec des amis d'enfance, à pratiquer des sports, de la musique, à faire des activités pour se valoriser. Mais Marc-Antoine n'y voyait plus d'intérêt, et ne semblait trouver l'estime de lui-même que dans le délit.

Les parents n'avaient jamais voulu d'ordinateur dans la maison. Ils ont fini par en acheter un, et l'ont installé à la vue, dans un passage. Ils refusaient d'acheter des jeux violents et confisquaient le clavier à l'occasion, pour punir Marc-Antoine. Qu'importe, ce dernier se débrouillait pour télécharger les jeux. Il s'est mis à vendre ses choses aux commerces de prêts sur gage pour se procurer de l'argent. Il a même vendu la carte mémoire de l'ordinateur, et a retiré près de 500$ dans le compte de ses parents, à leur insu. Il passait les journées dehors à flâner et rentrait parfois «gelé» à la maison. Il était devenu incontrôlable et n'avait plus de limite.

Au bout du rouleau, les parents se sont tournés vers la DPJ. En septembre 2007, pour sa propre sécurité, Marc-Antoine a été placé dans la section «protection» au centre Cité des Prairies. À cet endroit, il a eu des hauts et des bas. Quand son comportement était bon, il pouvait aller passer les fins de semaine chez ses parents. Il a fugué quelquefois, mais rentrait toujours au centre de lui-même dans la journée, selon ses parents. De fait, le jour où il a perdu la vie, Marc-Antoine devait subir une évaluation en vue d'un retour progressif chez ses parents.

Un cadeau de la vie

Deux semaines avant son décès, les parents, Marc-Antoine et sa soeur Justine, 11 ans, sont allés passer quatre jours en Abitibi-Témiscamingue. Un séjour magique, qui restera à jamais gravé dans la mémoire de la famille. «Ça a été un cadeau de la vie, raconte sa mère. Marc-Antoine ne manifestait aucune opposition. On sentait qu'il avait du plaisir à pêcher et à être avec nous. Je lui ai dit: «Si tu es capable quatre jours, Marc-Antoine, tu es capable plus longtemps.»«

Mais aussitôt revenu en ville, l'adolescent a retrouvé ses vieilles habitudes. La fin de semaine avant son décès, ses parents ont dû le visiter au centre, parce qu'il était privé de sortie. Il s'était fait prendre à fumer du pot. «On l'a vu 15 minutes. Il nous a dit: «Je fume tout le temps, c'est juste que là, je me suis fait pogner.»«

Le matin du vendredi 4 juillet, Marc-Antoine a appelé sa mère. Il était «tanné d'être en centre» et voulait fuguer. Sa mère a essayé de le raisonner. Mais l'après-midi même, il a profité d'une sortie à la piscine pour s'enfuir. «On a eu un téléphone à 16h20 pour nous dire qu'il avait fugué, raconte sa mère. On a donné son signalement et une photo à la police, les numéros de téléphone d'amis avec qui il pouvait être, ainsi que ses endroits de prédilection, comme le parc Ahuntsic.»

Le lendemain matin, n'ayant aucune nouvelle, le père est parti à sa recherche dans le quartier. Il a regardé dans le parc Ahuntsic et les bouches de métro du quartier. Il a questionné, pour finalement rentrer bredouille à la maison. Il ignorait qu'au même moment, les plongeurs s'affairaient à retirer le corps de son fils de la carcasse d'une voiture volée.

Quand la sonnette de la porte d'entrée s'est fait entendre, vers 19h le samedi soir, les parents ont tout de suite songé: tiens, c'est Marc-Antoine qui rentre à la maison.

Mais il s'agissait de deux enquêteurs de la SQ, venus leur annoncer la terrible nouvelle.

Des questions sans réponse

Depuis, parents et enquêteurs tentent de reconstituer les allées et venues de Marc-Antoine pendant les neuf heures qu'a duré la fugue qui s'est avérée fatale. On sait qu'il est allé au parc Ahuntsic dans la soirée, qu'il a parlé à des amis. Une travailleuse de rue lui a demandé où il allait dormir. Comme il l'ignorait, elle lui a donné des numéros de téléphone de ressources d'hébergement pour jeunes. Il en a appelé une d'ailleurs, avec elle. Après, il a quitté le parc.

La Ford Taurus qui allait devenir son tombeau avait été dérobée le 28 juin devant le 9850, avenue Papineau, ont appris ses parents. Marc-Antoine était à la Cité des Prairies ce jour-là. Comment s'est-il retrouvé au volant de ce véhicule, en début de nuit, le 5 juillet? Rentrait-il à la Cité des Prairies ou allait-il voir son meilleur ami qui réside à Rivière-des-Prairies? Pourquoi a-t-il brusquement bifurqué vers la rivière? Marc-Antoine n'avait pas le sens d'orientation, selon sa mère. Avec l'adrénaline, a-t-il oublié qu'il longeait un cours d'eau?

Tout cela, et bien d'autres choses demeurent un mystère. «On est bien conscients qu'on ne trouvera pas de réponses pour tout. Mais en savoir plus nous aiderait peut-être à faire notre deuil», conclut doucement Josée Bastien.

Toute information permettant de reconstituer le fil des événements de cette affaire peut être communiquée à la Sûreté du Québec au 1-800-659-4264.