Résidence pour personnes âgées Le Castel, Saint-Lambert. Une soixantaine d'aînés sont rassemblés dans la grande salle communautaire. Ils ont de la visite. La candidate du Parti libéral du Canada dans leur circonscription, Roxane Stanners, est là pour se présenter. Elle s'est fait accompagner par un ambassadeur de choix: le sénateur Jean Lapointe.

Des roses pour la fête de Lucille Guérin-Kelly, qui fête ses 100 ans aujourd'hui, un beau gâteau rouge et blanc: la visite de la candidate libérale a été préparée avec beaucoup de soin. Jean Lapointe fait quelques blagues, pousse même une chansonnette de son prochain album dont le thème est - devinez quoi? - l'environnement.

«C'est qui, la madame?» demande discrètement une dame âgée à sa voisine. Il faut dire que Roxane Stanners n'est pas très connue dans cette circonscription de la Rive-Sud, qui englobe Saint-Lambert et Greenfield Park, deux bastions fédéralistes, mais aussi une bonne partie de la ville de Longueuil, acquise au Bloc québécois. Le député sortant, Maka Kotto, qui a quitté le BQ il y a six mois pour le Parti québécois, avait obtenu 10 000 voix de majorité aux élections de 2006. La circonscription est bloquiste depuis 2004.

Mme Stanners, avocate d'origine franco-manitobaine, habite et travaille à Montréal depuis 10 ans. Après avoir travaillé à la campagne de Stéphane Dion, elle a quitté en septembre dernier son emploi chez Samson Bélair, certaine que des élections générales seraient déclenchées. À la place, elle hérite d'une élection partielle estivale. Le cauchemar de tout candidat.

«Une partielle l'été, c'est tout un animal», résume Mme Stanners avec le sourire étincelant qui ne la quitte jamais. La candidate est assise dans son local de campagne peint d'un beau rouge libéral, vêtue d'une robe de satin marine, maquillage et ongles impeccables.

Son personnel politique prononce son prénom comme Sting dans la célèbre chanson de The Police, on répond en anglais à son bureau de campagne, et ses adversaires ne se privent pas de rappeler le peu d'attaches de Mme Stanners dans la circonscription. Un argument que rejette Jean Lapointe d'un revers de main. «Certains lui reprochent de venir du Manitoba, tonne-t-il devant l'assemblée de gens âgés. Mais Maka Kotto, lui, il venait d'Afrique!»

Dans les prochaines semaines, Mme Stanners fera l'impossible pour rallier aux libéraux tout le vote fédéraliste de l'ouest de la circonscription. Dans cette partie, Patrick Clune, fils de la sénatrice conservatrice Andrée Champagne, est son principal adversaire. C'est la troisième fois que M. Clune se présente dans Saint-Lambert. Il a toujours fini au troisième rang.

Mais cette fois-ci, il a des appuis importants, dont le maire de Longueuil, Claude Gladu. Il faut dire qu'il a fait aux électeurs une promesse d'importance: rien de moins qu'un nouveau pont Champlain. «Le lendemain de l'élection, je serai dans le bureau de Lawrence Cannon», lance-t-il.

Justement, qu'en dit le principal intéressé, ministre fédéral des Transports? «Il va falloir commencer la planification», dit prudemment le ministre. Une planification à très, très long terme puisque le tablier du pont, précise-t-il, est encore bon pour au moins 10 ans.

«Les déserteurs du Bloc»

Les candidats fédéralistes n'ont cependant aucune chance de remporter la circonscription s'ils ne courtisent pas les électeurs bloquistes de Longueuil, qui forment les deux tiers de la circonscription. C'est pourquoi tous multiplient les attaques à l'endroit du Bloc.

Cette semaine, le ministre Cannon a publié un communiqué incendiaire faisant la liste des «déserteurs du Bloc». Le candidat Clune en remet en entrevue: «Les gens sont très déçus que M. Kotto soit parti. Il a eu 10 000 voix de majorité, n'a même pas dit merci et est allé magasiner une autre circonscription.»

Richard Marois, le candidat du Nouveau Parti démocratique, se dit «étonné» de l'accueil favorable qu'il reçoit dans son porte-à-porte. «Les gens se rendent compte que le Bloc ne peut pas faire grand-chose», dit celui qui est toujours président du Conseil régional de l'environnement de la Montérégie.

Pour remplacer le comédien Maka Kotto, un politicien atypique qui déclamait parfois de la poésie dans ses discours, le Bloc a jeté son dévolu sur Josée Beaudin, travailleuse communautaire de Longueuil. Josée Beaudin oeuvrait à 1-2-3 Go!, une table de concertation qui vise à améliorer les conditions de vie des jeunes familles. Sa grande victoire aura été de faire admettre les poussettes dans les autobus de la Société de transport de la Rive-Sud.

«Quand je faisais des rencontres, tout le monde me disait: va-t'en donc en politique», raconte Mme Beaudin. En se présentant au fédéral, Josée Beaudin change cependant d'univers: elle passera des poussettes dans les autobus à la fonte des glaciers ou aux relations internationales. Pourra-t-elle vraiment faire une différence dans la vie des familles? «Prenons le logement social. Ça concerne les gens et ça peut se régler, en partie, au fédéral», répond-elle.

Son travail avec les partenaires de Longueuil lui a manifestement inculqué de bons rudiments de politique. Il faut la voir faire campagne dans un centre commercial. Elle prend tous les bébés dans ses bras et repère rapidement une famille de huit enfants qui fera un excellent cliché pour le photographe.

Roberto et Lisa Rubio, les parents de cette «petite famille», sont-ils des partisans du Bloc? Manque de pot: comme bien des électeurs, ils ignorent qu'une élection partielle est en cours. «De toute façon, on n'est pas dans Saint-Lambert, on habite à Longueuil», dit Lisa. Josée Beaudin les corrige gentiment. Oui, ils sont dans la circonscription. Et il y a une élection le 8 septembre.

Des élections partielles l'été. Une circonscription qui porte le mauvais nom. Le cauchemar de tout candidat.