Un conflit entre Québec et les équipes d'architectes et d'ingénieurs embauchés par le CHUM et le CUSM pourrait faire grimper une fois de plus la facture des super hôpitaux montréalais.

Les architectes et les ingénieurs réclament une compensation de plusieurs millions de dollars pour des travaux qu'ils devaient faire et que Québec leur a retirés au cours des derniers mois.

Si ce « désaccord » n'est pas réglé rapidement, le ministère de la Santé craint des retards dans la réalisation des projets, qui coûteraient deux millions par semaine, selon des documents classés « entièrement confidentiels » et dont La Presse a obtenu copie.

Le ministre de la Santé Philippe Couillard a fait pression sur ses collègues pour autoriser le versement d'une compensation. Son successeur, Yves Bolduc, a repris la bataille. Mais la présidente du Conseil du Trésor et ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, refuse d'ouvrir ses goussets. Le bras de fer dure depuis plusieurs semaines déjà au Conseil des ministres qui tarde à prendre une décision.

Le 1er mars 2007, le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) a signé les conventions de services professionnels avec les équipes d'ingénieurs et d'architectes sélectionnés après un appel d'offres. Les contrats leur garantissaient la réalisation de 30 % des travaux de conception du super hôpital.

Le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) a conclu des contrats semblables avec ses propres équipes de professionnels.

En juin 2007, le gouvernement Charest a choisi de réaliser les deux super hôpitaux en PPP. Du coup, le mandat confié aux équipes de professionnels a été réduit considérablement. Les plans et devis préliminaires seront conçus par le partenaire privé choisi au terme de l'appel de propositions, et non par les équipes de professionnels comme il était prévu au départ, a décidé Québec.

Les contrats signés en mars prévoyaient pourtant que les plans et devis préliminaires seraient réalisés par les équipes de professionnels peu importe le mode de construction retenu, conventionnel ou PPP.

Les architectes et les ingénieurs ne se retrouvent plus qu'avec environ 15 % des travaux de conception des projets, comme la préparation des devis de performance et la réalisation des esquisses. C'est pourquoi ils demandent une compensation. Ils ont conclu de nouvelles conventions de services avec les hôpitaux universitaires en décembre dernier sous réserve d'un règlement de ce désaccord.

Les architectes et les ingénieurs « demandent une compensation, sans toutefois en avoir précisé le montant, au motif que la réduction de leur mandat entraînera un manque à gagner et une baisse des marges bénéficiaires », lit-on dans un mémoire daté du 5 mai et présenté par Philippe Couillard au Conseil des ministres.

Le CHUM, le CUSM, PPP Québec et le Directeur exécutif responsable des projets, Clermont Gignac, chiffrent ce manque à gagner à « au moins 10 millions de dollars ». Ils estiment que « toute demande de compensation formulée par les professionnels est raisonnablement justifiée dans les circonstances, sous réserve d'en effectuer une évaluation et une détermination raisonnables ».

Retards : deux millions par semaine

Selon le mémoire présenté par M. Couillard, « il est dans l'intérêt des projets de modernisation du CHUM et du CUSM qu'une entente équitable » soit conclue. Car ce « désaccord » entre les équipes de professionnels et Québec, comme le décrit le document, pourrait causer des retards dans les travaux.

«Tout retard des travaux des professionnels à ce moment critique de préparation des documents des appels de propositions des partenaires privés représente pour le gouvernement un coût additionnel d'indexation de l'ordre de un million de dollars par semaine pour chaque projet » (CHUM et CUSM), souligne le document confidentiel.

Une entente doit être conclue « dans les meilleurs délais » afin de « favoriser un climat d'étroite et de diligente collaboration ». Toujours selon le mémoire, le CHUM, le CUSM et Clermont Gignac croient être en mesure de négocier avec les équipes de professionnels une compensation d'au plus un million de dollars pour chaque établissement, donc deux millions au total. Mais comme le manque à gagner des professionnels est au moins cinq fois plus élevé, les négociations

pourraient être plus serrées et un éventuel accord, plus coûteux.

Crainte d'un précédent

Malgré l'appel pressant du ministre de la Santé, le Conseil du Trésor est réfractaire à l'idée de verser une compensation. « Aucune compensation n'a été versée à des fournisseurs en raison d'une révision de leur mandat. Il s'agirait d'un précédent susceptible d'être invoqué par des firmes détentrices de contrats devant une situation similaire », explique le Conseil du Trésor dans un document préparé pour la réunion du Conseil des ministres du 20 mai dernier.

Le gouvernement a autorisé l'embauche des équipes de professionnels en juin 2007 « en indiquant spécifiquement que les limites de leur mandat seraient précisées en fonction de la décision à venir sur l'opportunité de l'approche PPP ».

Le refus de verser une compensation n'est toutefois pas sans risque, reconnaît le Trésor. Il n'est « pas en mesure d'évaluer l'impact d'un refus sur déroulement des projets et les risques que cela représente sur le respect des échéanciers ».

Au cours d'une entrevue accordée à La Presse mardi, le ministre Yves Bolduc s'est voulu rassurant. « Même si des groupes font pression pour avoir plus d'argent, on suit le cours normal des négociations. Ça va bien », a-t-il affirmé.

Selon son attachée de presse, Marie-Ève Bédard, aucune décision ne sera prise avant la fin juillet, puisque le Conseil des ministres ne se réunit pas avant cette date. PPP Québec a indiqué que ce désaccord « pouvait peut-être ralentir les équipes », ce qui peut faire grimper les coûts, a-t-elle affirmé.

PPP Québec a refusé de commenter l'affaire. L'agence renvoie la balle à Clermont Gignac, le mandataire du gouvernement. Une demande d'entrevue avec M. Gignac est restée lettre morte. Son porte-parole, Julie Masse, s'est contenté de dire que « pour l'instant, tout va bien » et que, « présentement, il n'y a pas de retard ». La conseillère en communication au CHUM, Chantale Huot, affirme que « personne ne menace de claquer la porte ou d'arrêter de travailler. Le climat n'est pas acrimonieux avec les professionnels ».

Les architectes et les ingénieurs concernés demeurent prudents. Ceux qui ont rappelé La Presse n'ont pas voulu faire de commentaires