Depuis cet après-midi du 9 août où la rencontre entre deux policiers et des jeunes dans un parc de Montréal-Nord a mal tourné, la police de Montréal est sur la sellette.

Scepticisme de la population envers l'enquête policière, accusations de profilage racial, fronde de la Fraternité des policiers qui accuse le chef de manquer de leadership... Alors que la poussière commence à retomber, le chef du Service de police de la ville de Montréal (SPVM), Yvan Delorme, a accepté de rencontrer La Presse.

Q Cette semaine a eu lieu le congrès de l'Association canadienne des chefs de police (ACCP). Il y a été beaucoup question d'intégrer plus de membres des minorités ethniques dans les rangs des corps policiers. Le SPVM compte 13% de policiers issus de minorités ethniques ou visibles. Est-ce satisfaisant?

R C'est satisfaisant dans la mesure où on a mis en oeuvre les outils pour pouvoir atteindre le maximum pour pouvoir embaucher ces personnes, qu'elles soient des policiers ou des civils. On a des programmes d'accès à l'égalité pour pouvoir intéresser les personnes issues des minorités (...). En considérant les outils, oui, on a atteint et même dépassé nos objectifs. Mais ça ne sera pas suffisant dans la mesure où le Service de police, ses employés civils, ne sont pas représentatifs de la population de la ville de Montréal.

Q Les experts estiment que les corps policiers doivent faire quelques accommodements raisonnables, comme de revoir certains critères d'embauche, pour aller chercher des candidats de diverses origines. Jusqu'où le SPVM est-il prêt à aller?

R Il y aura un traitement équitable pour toutes les personnes compétentes.

Q Est-ce qu'on permettrait à une policière musulmane de porter le voile?

R La situation ne s'est pas encore présentée à Montréal. L'important est d'examiner la légitimité et d'entreprendre un dialogue avec ces personnes pour trouver un terrain d'entente.

Q Donc, vous ne l'excluez pas. RC'est une situation qu'il faudra voir.

Q Est-ce qu'on peut faire des compromis sur la maîtrise de la languepour attirer des membres des minorités ethniques moins bien représentées dans vos rangs, mais qui ne parlent pas très bien le français?

R Il y a des lois qu'on doit respecter. (Dans le cadre des cours pour devenir policier), il y a des examens de français et il faut respecter ces exigences. Si ces exigences se modifient avec le temps et donnent de l'accessibilité, je ne vois pas pourquoi le service de police ne s'ouvrirait pas de la sorte.

Q Lors de votre nomination en avril 2005, on vous a décrit comme étant un homme de terrain. Comment vous sentez-vous de l'autre côté de la clôture?

R Je suis toujours aussi souvent sur le terrain. Ce sont les heures de travail qui s'allongent pour y être le plus souvent. Je rencontre les policiers dans les unités, là où l'action se passe. (...)

Q Quel est le moral des troupes?

R Ce sont des moments difficiles. Il y a beaucoup de choses qui se sont dites et cette confiance (de la population), il faut la préserver. (...) C'est ce que je me suis employé à faire en rencontrant les policiers et les médias. J'ai dit que j'étais satisfait du travail qui est fait, j'ai donné mon appui aux policiers. Et surtout, avec les événements qui sont arrivés, j'ai demandé d'attendre de voir ce qui s'est réellement produit avant de juger. On a un service de police professionnel. Ce n'est pas en mettant en doute le service de police et ses employés qu'on va améliorer la situation. Il faut avoir confiance en eux.

Q Mais les policiers vous reprochent de ne pas avoir pris publiquement leur défense...

R Le premier matin (NDLR: le lundi 11 août, au lendemain des émeutes), j'ai assumé mes responsabilités et je suis allé le premier en conférence de presse pour donner mon point de vue sur les événements. (...) Mais mes propos n'ont pas été repris (dans les médias), parce qu'il y a d'autres personnes qui ont suivi (en conférence de presse). J'ai donné des entrevues pour donner ma position, mais elles n'ont pas été beaucoup reprises parce qu'elles n'étaient pas très controversées. On répond à plus d'un million d'appels 911 par année, on fait plus de 10 millions d'interventions par année. La qualité et le professionnalisme des policiers de Montréal est extraordinaire. Je l'ai dit sur toutes les tribunes, mais ça n'a pas été repris.

Q Il y a des policiers qui n'ont pas senti votre appui.

R Effectivement. Il y a une quantité innombrable de moyens de communication aujourd'hui. Lesquels seront les plus efficaces pour mieux renseigner la population et les policiers sur les faits et les points de vue pour ne pas se laisser entraîner par des interprétations? Je vais m'efforcer de trouver les bons moyens de communication pour que tout le monde soit renseigné.

Q La police communautaire est implantée depuis plus de 10 ans. Mais on sent encore du mécontentement chez les policiers. Qu'est-ce qu'il faut revoir dans la police de quartier?

R Depuis 10 ans, il y a eu trois transformations. Mais il reste qu'à la base, de 90 à 95% du travail de policier en est un de relation d'aide avec les citoyens. On est là pour aider, et non nuire. On est là pour servir, pour sécuriser les citoyens. Et pour poser des actions qui sont à l'occasion répressives, à l'occasion préventives. (...) Et le plus important pour un service de police, c'est que la criminalité diminue à Montréal. Le sentiment de sécurité devrait au moins être à la hauteur de la réalité à Montréal, l'une des villes les plus sécuritaires en Amérique du Nord, sinon au monde.

Q Que dites-vous aux policiers qui se plaignent d'être devenus des agents sociocommunautaires et de ne pas pouvoir faire plus de répression?

R On agit sur la criminalité, sur les faits, sur ce que les gens font et non sur ce qu'ils sont. Il faut s'adapter à la réalité de 2008 pour pouvoir intervenir de façon efficace. (...) On n'a jamais fait autant de répression, d'arrestations, on n'a jamais aussi bien ciblé les problèmes et les personnes qui les causent. On voit la diminution de la criminalité, et c'est dû au bon travail de nos policiers qui oeuvrent à différents niveaux. (...) Cette année, on n'a que 14 meurtres. Je trouve ça beaucoup, même pour Montréal, mais toutes les autres grandes villes en Amérique du Nord rêveraient d'avoir un taux de criminalité comme ça. Il faut s'en rendre compte. D'autre part, le travail policier est de plus en plus exigeant. On a besoin de toutes les compétences d'un être humain à l'intérieur d'un policier pour pouvoir interagir de façon efficace sur le terrain. Un cas qui, il y a 10 ans, prenait une demi-heure à régler, prend maintenant deux ou trois heures.

Q Par exemple?

R Un cas de violence conjugale. Avant, on faisait une arrestation, on portait une accusation et ça allait en cour. Mais ça engendrait beaucoup d'autres problèmes. Aujourd'hui, les policiers sont conscients d'une situation familiale dans un endroit donné. Ce n'est pas seulement un conflit familial entre parents. (...) De quelle façon peut-on travailler avec nos autres partenaires pour pouvoir régler cette situation de façon durable, et non momentanément, en arrêtant, en emmenant en cour et en recommençant le lendemain?

Q Il y en a qui sont nostalgiques des vieilles méthodes...

R Peut-être. Mais il faut regarder les résultats aujourd'hui et les objectifs que vise la société. Mais les vieilles méthodes ne sont pas laissées de côté non plus.

Q Le président de la Fraternité a critiqué le manque de leadership et des policiers en colère appellent les journalistes pour se plaindre de leur impuissance... Est-ce représentatif de l'état d'esprit qui règne chez les policiers?

R C'est représentatif à première vue. Il y a des policiers qui ne comprennent pas certaines décisions qui ont été prises. Mais une fois que tout est expliqué, ils comprennent très bien la situation et acceptent la décision.