Des bactéries, il y en a partout. Dans la nature. Dans l'assiette. Depuis toujours. Dans la tourmente des éclosions de listériose et maintenant de salmonellose, certains se demandent s'il faudrait augmenter d'un cran le contrôle des bactéries pathogènes dans l'univers alimentaire. Mais voulons-nous vraiment manger des laitues rincées à l'eau de Javel et des saucissons irradiés?

«Les consommateurs s'y perdent: ils veulent manger des aliments proches de la nature, mais ils sont surpris d'apprendre aujourd'hui qu'on y trouve aussi des bactéries», explique Nathalie Joannette, du Fou du cochon, une entreprise du Bas-Saint-Laurent qui fait des charcuteries artisanales. Les bactéries, elle connaît très bien. Comme les fromagers, les maraîchers, les éleveurs et pratiquement tous les travailleurs de la chaîne alimentaire, son pain et son beurre dépendent en partie de la bonne maîtrise des bactéries pathogènes. Comme tout ce beau monde, elle suit avec attention les crises qui secouent présentement le Québec.

«Les programmes de suivi de bactéries pathogènes sont très serrés», dit Louis Arsenault, de la Fromagerie des Grondines. C'est pour cette raison que, lorsqu'on visite une fromagerie au Québec, peu importe sa taille, il faut mettre un bonnet, un sarrau et des bottes, se laver les mains et les pieds tous les deux mètres et ne pas s'approcher des meules en chambre d'affinage.

«Et ce n'est pas parce qu'on fait un fromage de lait cru qu'on n'est pas aseptisé, poursuit Louis Arseneault. Notre matériel et notre environnement sont très contrôlés. Mais de là à mettre de l'eau de Javel partout, il y a une limite. On ne goûtera plus rien et, finalement, ce sera notre système immunitaire qui va être affaibli.»

Louis Arsenault dit tout haut ce qu'une partie de la population pense tout bas. Est-il possible que cette guerre aux bactéries finisse par nous rendre plus vulnérables? Deux philosophies s'affrontent.

«La société est devenue aseptisée, dit le producteur de porc Damien Girard, des Viandes biologiques de Charlevoix. On n'a qu'à regarder la façon dont on entretient nos maisons ou ce que l'on met dans nos assiettes.»

«Je crois que les crises comme celles que l'on vit présentement vont se multiplier, poursuit-il, justement parce que nos systèmes immunitaires ne sont plus résistants.»

Les représentants de la communauté scientifique ne sont pas du même avis.

«Je ne voudrais jamais revenir à une production artisanale comme il y a 50 ans», dit Gale West, professeure au département d'économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l'Université Laval. «Il y avait beaucoup plus de morts et d'épidémies dans ce temps-là!»

Sa collègue Linda Saucier, du département des sciences animales, est d'accord: «L'espérance de vie des Canadiens a augmenté. Il doit bien y avoir quelque chose qu'on fait comme il faut.»

Chaîne fragile

Toutefois, malgré toutes les précautions que l'on peut prendre, les aliments seront toujours à risque, explique Linda Saucier. «Tous les aliments mal utilisés sont à risque, précise-t-elle. On a banalisé l'importance de la nourriture comme vecteur de maladie.»

Cette semaine, pour plusieurs, ce fut un dur retour à la réalité. Listeria et salmonelle, fromages et charcuteries au banc des accusés.

«Il n'y a pas de surprise dans des épisodes comme ceux-là, explique Pierre Payment, professeur à l'INRS-Institut Armand-Frappier. Il va toujours y en avoir de temps en temps.» En fait, explique le chercheur, c'est précisément parce qu'il y en a peu que l'on en parle tant. «Nous sommes dans un milieu très hygiénique, dit-il, alors quand il arrive une chose comme celle-là, ça se voit.»

Dans le cas de la listériose, l'effet a été décuplé parce qu'une grande entreprise, Maple Leaf, est en cause. «Il y a eu concentration dans le milieu de l'alimentation, explique Pierre Payment. Donc, lorsqu'il se passe quelque chose, ça touche beaucoup de monde.» Pour les consommateurs, dit-il, la crise est un rappel que le risque zéro n'existe pas plus en alimentation que dans la vie en général.

C'est une problématique très complexe, dit la charcutière Nathalie Joannette, parce que la contamination peut survenir partout dans la chaîne, de la ferme à l'assiette. «De 10% à 15% des gens sont porteurs de la Listeria. Ce sont de porteurs «sains», mais il suffit que la bactérie tombe dans un milieu favorable et voilà, c'est parti.» En alimentation, les manipulations augmentent le risque. La laitue risque plus d'être contaminée à l'épicerie, où elle a été touchée par quatre consommateurs hésitants avant d'être achetée pour de bon.

Pour Nathalie Joannette, il faudra aussi tirer de cette crise des leçons en tant que consommateurs. Nous voulons des produits qui sont beaux, qui restent beaux longtemps sur les tablettes des épiceries, dit-elle. «Certaines entreprises vont jusqu'à chauffer leurs terrines dans leur emballage de plastique pour les stériliser. Je ne suis pas chimiste mais, en tant que consommatrice, je me pose des questions sur ce genre de procédé. Dans notre cas, le jour où l'irradiation sera obligatoire, nous allons fermer boutique.»

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Les rappels d'aliments sont fréquents au Canada. La plupart concerne la présence d'ingrédients allergènes qui ne sont pas déclarés sur l'emballage du produit. Du lait, des arachides, des oeufs et des noix, notamment. Certains aliments sont toutefois retirés des tablettes parce qu'on y a trouvé la présence de bactéries nuisibles.

Voici les rappels d'aliments pour les 12 mois précédant le début de la crise de listériose. Tous les rappels liés aux produits Maple Leaf ne sont donc pas comptabilisés.

BACTÉRIE SALMONELLA: 16 RAPPELS

ALIMENTS CONTAMINÉS

- Cantaloups

- Cumin

- Poivre noir

- Saucisson de porc

- Salami

- Graines de sésame

- Origan

- Biscuits aux graines de sésame

- Chocolat blanc

- Coriandre en poudre

- Friandises de porc pour chiens

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BACTÉRIE LISTERIA MONOCYTOGENES: 7 RAPPELS

ALIMENTS CONTAMINÉS

- Fromage de chèvre

- Champignons tranchés

- Sandwichs au poulet

- Magret de canard séché et fumé

- Jambon haché

La consommation d'aliments contaminés peut provoquer la listériose qui présente des symptômes semblables à ceux d'une grippe: maux de tête, raideurs dans la nuque, nausées, fièvre. Une femme enceinte qui en consomme peut accoucher prématurément ou perdre son enfant. Une toxi-infection à la bactérie Listeria peut être mortelle.

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BACTÉRIE E. COLI: 12 RAPPELS

ALIMENTS CONTAMINÉS

- Boeuf haché et autres découpes de boeuf

- Laitues

La consommation d'aliments contaminés peut provoquer des malaises abdominaux importants, jusqu'à la diarrhée sanguine. Elle peut mener à des convulsions, des accidents cérébrovasculaires et des dommages aux reins allant jusqu'à nécessiter des dialyses. Une toxi-infinction à la bactérie E. coli peut être mortelle.

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ÊTRE EMPOISONNÉ ET NE PAS LE SAVOIR

Au Canada, il y aurait de 11 à 13 millions d'empoisonnements alimentaires par année, selon l'Agence canadienne d'inspection des aliments. La plupart ne sont jamais déclarés parce qu'ils provoquent des inconforts mineurs, comme des maux de tête ou de ventre. Au Québec, il y a eu 1321 signalements d'intoxication alimentaire en 2005, selon l'Agence de santé publique.

Source: Agence canadienne d'inspection des aliments du Canada