Une seule meule contaminée, fort probablement à l'épicerie au moment de la coupe. C'est tout ce qu'il a fallu pour que les fromageries artisanales Blackburn et de l'Île-aux-Grues, productrices du Mont-Jacob et du Riopelle, vivent cette semaine la pire crise de leur existence.

«Il y a énormément de confusion. Nous sommes des victimes innocentes du tsunami Maple Leaf», lance Gilles Blackburn, copropriétaire de la Fromagerie artisanale Blackburn, de Saguenay.

Mardi, une alerte alimentaire émise par le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ) indiquait aux consommateurs qu'un lot de fromage Mont-Jacob vendu au magasin Octofruit Maître Gourmet, de Sainte-Thérèse, contenait la bactérie Listeria. «Seuls les produits portant la mention «meilleur avant le 29 août» et emballés le 14 août à l'établissement mentionné plus haut sont visés par ce rappel», précisait l'avis, suggérant une contamination confinée au commerce.

Or, depuis la publication du rapport, «c'est tranquille comme c'est pas possible» à la fromagerie Blackburn, affirme M. Blackburn. «Il n'y a plus personne qui vient à la fromagerie et mes clients sont en attente. La pression est immense. On est jugés coupables, alors que nos installations n'ont probablement rien à voir avec l'infection», ajoute le fromager.

Même son de cloche du côté de la Fromagerie de l'Île-aux-Grues, dont une infime partie de la production de son fromage Riopelle, vendue au magasin Aux Petits Délices, de Québec, a fait l'objet d'un rappel du MAPAQ la semaine dernière. Comble du malheur, un nouvel avis visant un lot de Tomme de Grosse-Île emballé le 15 août à l'épicerie S. Bourassa, de Saint-Sauveur, a été publié hier en fin de journée.

Mesure préventive

Par mesure préventive, les propriétaires de la Fromagerie de l'Île-aux-Grues, avant même d'obtenir les résultats d'analyse de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, ont décidé de retirer complètement du marché trois de leurs produits: le Riopelle, la Tomme de Grosse-Île et le Mi-Carême. En conférence de presse, le directeur général, Christian Vinet, a dit être persuadé que la contamination s'est produite dans les épiceries qui les revendaient. «Je tiens à préciser que c'était une meule qui était ouverte, et qui était servie aux consommateurs, donc découpée, qui est en cause», a-t-il dit en conférence de presse à Montmagny.

Un peu partout dans les points de vente, on rapporte aussi une diminution de la clientèle, affirme Nancy Portelance, de Plaisirs Gourmets, principal distributeur de fromages artisanaux québécois. «Les commerçants nous appellent pour nous dire qu'il n'y a pas un chat dans leurs commerces. Les consommateurs sont très confus. Le rappel ne touche qu'une seule boutique où il y a eu contamination croisée, mais c'est toute une économie qui est fragilisée», affirme-t-elle.

Vu l'état de confusion généralisé parmi les clients, la Fromagerie du marché Saint-Jérôme, elle, a préféré retirer complètement les fromages Riopelle de ses tablettes. «On explique à notre clientèle que c'est une contamination localisée, mais certains clients préfèrent jeter carrément le fromage. On a décidé de les rembourser s'ils nous rapportent l'étiquette. On n'a pas à le faire, mais on aime mieux prendre la responsabilité sur notre dos tellement il y a de clients confus», affirme le responsable, Martin Taillon.

Selon Jean-Claude Dufour, professeur au département d'économie agroalimentaire à l'Université Laval, cette crise d'apparence locale aura «un impact très important» sur les producteurs touchés. «Les gens entendent ce qu'ils veulent entendre. Même si ce n'est qu'une infime partie de la production qui est touchée, ils bloquent», explique-t-il. «Pendant que la crise dure, la place durement gagnée par le fromager sur les tablettes des marchands ne reste pas vide: elle est vite occupée par les concurrents. Il faudra que l'entreprise redouble d'efforts pour reprendre l'espace perdu. Mais heureusement, les consommateurs ont la mémoire assez courte.»

Pendant ce temps, un peu résignés, les producteurs s'estiment victimes de la conjoncture. «Ce qui est le plus frustrant, c'est que je connais des producteurs fromagers qui ont été visés par trois avis de rappel semblables du MAPAQ, sans que ça ait le moindre impact sur leur chiffre d'affaires. Et là, parce que c'est la folie avec l'affaire Maple Leaf, la tempête n'arrête pas», déplore M. Blackburn.

Pas d'impact sur le porc

De leur côté, les producteurs de porc québécois assurent que la crise provoquée par les produits contaminés de Maple Leaf n'a pour l'instant «aucun impact» sur leur production. «Nos membres sont nerveux et inquiets, mais il n'y a pas de ralentissement pour le moment», affirme la porte-parole de la Fédération des producteurs de porc, Nathalie Hansen.

Le Conseil canadien des distributeurs en alimentation, qui représente Loblaws, Provigo, IGA, Sobey's et Metro, affirme quant à lui que les clients semblent avoir bien compris la situation et n'enregistre pas d'impact sur les ventes.