Quelques jours après l'émeute de Montréal-Nord, le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, s'inquiète de la méfiance des communautés culturelles envers le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

«Je perçois le scepticisme et il faut que les policiers le perçoivent aussi. Ils doivent faire des efforts pour contrer cette perception-là», a dit le ministre au cours d'une entrevue accordée à La Presse, hier. Le SPVM a fait des efforts considérables pour se rapprocher des communautés culturelles au cours des dernières années, croit M. Dupuis. «Mais cela ne veut pas dire que c'est parfait», a-t-il admis.

«Il faut absolument qu'on réfléchisse sur comment on pourrait faire pour rapprocher la police de la population. Je ne veux pas une table de concertation ou un comité. Il faut faire preuve d'imagination», a-t-il dit. À son avis, le sport est une solution intéressante.

Le devoir de rester calme

M. Dupuis s'est aussi défendu d'avoir manqué de leadership depuis l'émeute survenue en réaction à la mort de Fredy Villanueva, lors d'une intervention policière dans un parc de Montréal-Nord samedi soir. «Ce que les gens prennent pour du non-intérêt, ce n'est pas du non-intérêt; c'est un silence obligatoire pour être capable de rester calme dans la situation. Il y a tellement de gens qui s'énervent, il y a tellement de rumeurs qui circulent... C'est mon devoir de rester calme», a expliqué le ministre.

Pour M. Dupuis, cette phrase du philosophe chinois Lao-tseu est parfaite dans le contexte: «Ceux qui ne parlent pas savent; ceux qui savent ne parlent pas.» Le ministre a interrompu ses vacances aux États-Unis pour revenir au Québec lundi. Il n'est toutefois pas allé sur les lieux de l'émeute, confiant plutôt cette tâche à la ministre de l'Environnement, Line Beauchamp. «Si j'étais allé aux funérailles (de Fredy), ça pouvait être interprété par les policiers comme un biais en faveur de la famille. S'il y a des accusations portées contre le policier, mon autorité est alors minée. De la même façon, si je suis vu en public avec le chef de police Yvan Delorme, la famille va interpréter ça d'une autre façon», a-t-il souligné. Le ministre a offert ses condoléances à la famille Villanueva par le truchement des médias électroniques mardi.

La police enquête sur la police

Des criminologues, des groupes représentant des communautés culturelles et le Parti québécois ont tour à tour réclamé une enquête menée par un comité indépendant, plutôt que par un autre corps policier. Le ministre rejette cette idée, estimant que les policiers sont les seuls à posséder l'expertise nécessaire à ce genre d'enquête.

La Sûreté du Québec, qui est chargée de l'enquête, n'avait toujours pas interrogé les deux policiers présents lors de la mort du jeune Villanueva, hier, cinq jours après le drame. «Comme ministre de la Sécurité publique, j'ai ordonné qu'une enquête objective soit faite sur les événements. Je ne sais pas quel sera le résultat de l'enquête et je ne m'en mêlerai pas», a dit M. Dupuis.

Le ministre s'est toutefois assuré auprès de la Direction des poursuites pénales et criminelles que les conclusions de l'enquête seront dévoilées à la population. «Si un procureur décide de ne pas poursuivre, ses motifs seront expliqués», a-t-il assuré.

M. Dupuis refuse de promettre dès maintenant la tenue d'une enquête publique dans l'hypothèse où le procureur refuserait de porter des accusations. Ce serait l'équivalent de «mettre un grain de sable dans l'enquête criminelle», a-t-il dit.

L'émeute à Montréal-Nord est la deuxième à survenir cette année, après celle au centre-ville à la fin d'une partie du Canadien de Montréal. Dans les deux cas, il a demandé au chef Yvan Delorme de revoir ses méthodes d'intervention. «Il va falloir que vous prévoyiez mieux», a-t-il dit au chef de police. «Je ne peux pas faire plus que ça, parce que si je fais plus, je fais son job», a-t-il ajouté.

Des organismes communautaires et des résidants de Montréal-Nord ont attribué aux interventions répressives de la nouvelle escouade Éclipse l'augmentation des tensions entre la police et la communauté. Ces policiers, chargés entre autres de lutter contre les gangs de rue, ne sont pas suffisamment formés pour faire la différence entre les jeunes Noirs et latinos vêtus comme des membres de gangs et les vrais membres de gangs, ont reproché plusieurs de ces personnes.

«Ma conviction, c'est que les policiers ont suffisamment de renseignements pour être capables de faire la part des choses. Maintenant, ce que j'admets, c'est que oui, dans des temps plus récents, il y a eu plus d'efforts consacrés aux gangs de rue. Ça crée des remous, c'est évident», a répondu M. Dupuis.

Le défi de la police de Montréal est de combattre les gangs tout en se rapprochant des communautés culturelles, a conclu le ministre de la Sécurité publique.