Pour retrouver sa fille, Martin Provencher a remué ciel et terre. Il a abandonné son travail et sillonné l'est du Canada, à la recherche du moindre indice. Aujourd'hui, il se dit éprouvé mais conscient de la nécessité de redémarrer sa vie. Pour lui et pour Mélissa, son autre fille.

La chambre de Cédrika n'a guère changé depuis sa disparition, le 31 juillet 2007. «On venait de la finir, elle a à peine eu le temps d'en profiter. Les miroirs sont encore dans leurs emballages IKEA», dit Martin Provencher, qui a accepté pour la première fois d'ouvrir sa porte à des journalistes.

La pièce, pas très grande, est parsemée d'animaux en peluche. Seuls des coupures de journaux et des objets posés sur une commode témoignent de l'absence de la fillette. « Des gens nous ont donné leur porte-bonheur, comme des chapelets ou des photos de leur enfant décédé », dit M. Provencher.

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Pendant plusieurs mois, il a refusé de dormir chez lui, où il ne retournait que pour prendre quelques affaires et en déposer d'autres. Mais depuis peu, il fait du rangement. «Parce que Mélissa veut revenir à la maison. Elle veut dormir dans la chambre de sa petite soeur, parce qu'elle s'y sent en sécurité.»

Depuis que Cédrika a disparu, sa soeur a vécu dans le calme de la résidence de sa mère, Karine Fortier. Un choix qu'avaient fait très rapidement les deux parents divorcés. « La première journée, j'ai dit à Karine : “ Occupe-toi de Mélissa ; moi, je vais parler aux médias. ” Parce que dès que tu es médiatisé, tout le monde a une opinion sur toi. »

Il ne s'était pas trompé. Son histoire a ému journalistes et citoyens du Québec, à tel point qu'elle a constitué la nouvelle la plus traitée dans la province l'été dernier.

L'animateur de TVA Claude Poirier assistait famille et enquêteurs dans leurs recherches. L'émission de Radio-Canada Tout le monde en parle a traité M. Provencher en rock star en l'invitant sur son plateau.

Suspect no 1

À tel point que certains ont commencé à douter de sa sincérité, voire de son innocence. «Les enquêteurs sont venus me voir pour me dire que j'étais le suspect no 1, que des informations sur moi leur arrivaient car j'avais l'air fort et que je prenais de la place à la télévision.» Trois tests au détecteur de mensonge plus tard, les policiers ont écarté définitivement la piste de l'homicide parental.

Le père de Cédrika a donc le champ libre pour mener ses investigations. Employé au service des réclamation d'une compagnie d'assurances – un boulot qui l'a formé « à encaisser toutes les attaques » –, il arrête de travailler pour ne pas perdre une seconde.

60 000 km et toujours rien

Grâce à la générosité d'un commerçant de Trois-Rivières, qui lui prête un local, il installe un quartier général. Ordinateurs, téléphones, cartes et GPS, les bénévoles se font offrir tout le matériel nécessaire à l'enquête.

Accompagné du grand-père et du parrain de Cédrika, mais aussi d'inconnus venus lui prêter main forte, Martin Provencher sillonne les routes du Québec. « On a dépassé le Lac-Saint-Jean, on est allé à Montréal et jusqu'au Nouveau-Brunswick. » Au moins 60 000 km ont été parcourus. Tous les renseignements ont été vérifiés, même les données GPS fournies par des voyants canadiens, américains et européens.

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Mais un an après, toujours aucune trace de Cédrika. Les centaines de bénévoles et les enquêteurs de la Sûreté du Québec n'ont même pas recueilli assez d'éléments pour dresser le portrait robot d'un suspect.

Reste que des gens continuent de téléphoner ou de passer au local de recherche, comme ce matin de juillet où La Presse a rencontré M. Provencher. En retrait, au coin d'une table, un homme vient donner de l'information.

Simple intuition ou réelle piste, impossible de savoir ce qui se dit. Mais une chose est sûre : de telles contributions permettent à la famille d'entretenir l'espoir de retrouver la fillette. Mais on sait bien que, plus les mois passent, plus les chances s'amenuisent.

«J'ai encore l'espoir de la retrouver, mais je ne suis pas fou non plus. Il y a tellement d'hypothèses possibles... En même temps... Si c'est un prédateur sexuel, qu'elle est agressée continuellement, qu'est-ce que vous préférez pour votre enfant ? Pour moi, la savoir morte n'est pas la pire des choses. C'est plutôt de l'imaginer agressée en continu. Ne pas savoir ce que ma fille vit... Tu ne peux pas laisser ça comme ça.»

Sans se résigner à ne plus revoir sa fille, Martin Provencher prend peu à peu conscience de l'importance de recommencer à travailler et de s'occuper à nouveau de Mélissa, car «il y a encore une vie» et qu'« il faut quand même s'occuper de ceux qui sont là». Que ce soient Henri, le grand-père, Karine, la mère, ou Marie-Josée, la tante, toute la famille de Cédrika s'est engagée à temps plein dans les recherches.

Et sans baisser les bras, toujours soutenus par la population de Trois-Rivières qui a fait preuve d'une solidarité sans précédent, les Provencher tentent de reprendre «une vie normale», dit le père de Cédrika. «Mais par quoi on commence? On n'est pas équipé devant tout ça.»

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Une Fondation Cédrika

La famille Provencher lancera la Fondation Cédrika dans quelques semaines, n'en déplaise à Pierre-Hugues Boisvenu, fondateur de l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD).

La fondation a reçu ses lettres patentes, il ne reste plus qu'à rédiger les règlements généraux. «On veut assister les familles à qui un tel drame arriverait. Les aider à s'organiser mais aussi à traiter avec la police», explique Martin Provencher.

«Il ne faut pas diviser les forces», dit Pierre-Hugues Boisvenu, dont la fille a été assassinée en 2002. Mais malgré les appels de M. Boisvenu, le père de Cédrika refuse d'intégrer l'AFPAD. «Je veux être libre de faire ce que je veux», explique-t-il.

110 000$Dons récoltés par la famille Provencher depuis la disparition de Cédrika. La gestion en est assurée par un organisme communautaire de Trois-Rivières.