La semaine a été mouvementée dans le monde de la santé. L'ex-ministre Philippe Couillard a été engagé par un fonds d'investissement privé en santé. Une controverse sur les centres d'injection supervisés a éclaté. Pour faire le point sur la situation, La Presse a rencontré le nouveau ministre de la Santé, Yves Bolduc, arrivé en poste depuis à peine deux mois.

Q: M. Bolduc, vous êtes omnipraticien depuis 1982. Vous avez pratiqué à Rouyn-Noranda et à Alma, en plus d'occuper différents postes de gestion. Pourquoi avoir fait le saut en politique?

R: C'est à la suite d'une rencontre avec Philippe Couillard que j'ai réalisé que faire le saut en politique était quelque chose de souhaitable pour moi parce que je voulais m'engager. Si on veut que le système de santé s'améliore, il faut s'engager. Et ça passe nécessairement par la politique.

Q: Vous êtes ministre de la Santé depuis deux mois. Si vous aviez à noter la performance du système de santé sur 10, combien donneriez-vous?

R: Je donnerais autour de 7,5. Parce que oui, il y a certains problèmes d'accessibilité. Mais les soins sont d'excellente qualité.

Q: Cette semaine, l'ancien ministre de la Santé, Philippe Couillard, a été engagé par un fonds d'investissement privé en santé. Selon vous, quelle place devrait occuper le privé en santé?

R: Le privé peut amener des éléments complémentaires, mais il faut absolument avoir un système public très fort. Je crois en un système public avec collaboration du privé, tant que c'est les deniers publics qui payent les soins. Et je ne crois pas en un ticket modérateur.

Q: Pouvez-vous donner un exemple plus concret de cette vision?

R: Par exemple, si tu as besoin d'une chirurgie de la cataracte... Il se crée actuellement des cliniques médicales spécialisées (CMS) où tu peux aller te faire opérer en privé, mais où tous tes soins sont payés par le public.

Q: Vous avez fait un certificat de deuxième cycle en bioéthique en 1998. D'un point de vue éthique, est-ce qu'un ministre qui, à peine quelques mois après avoir quitté ses fonctions, va mettre ses connaissances au profit du privé, c'est éthique?

R: Ça peut-tu arriver? (rires) Il faut pousser le raisonnement à un niveau plus élevé. Quelqu'un qui consacre sa vie à la politique développe des connaissances. Ses connaissances, il peut les mettre au service d'autres organisations, qu'elles soient publiques ou privées. Ce qu'il ne peut pas utiliser, c'est des informations confidentielles qu'il aurait eues à l'intérieur de son mandat de ministre.

Q: Comment vérifier que cette ligne n'est pas franchie?

R: Ben écoutez... Il y a une question de confiance. Il n'y a pas une étanchéité à tout casser. Mais après avoir mené une vie publique, il faut encore travailler dans la société. M. Couillard ne pourra pas s'en aller comme plombier. Son domaine, c'est la santé. Il faut lui laisser la chance d'utiliser ses atouts à d'autres fins. Mais au niveau éthique, il y a un pas à ne pas franchir: les informations confidentielles. Je peux vous dire que, comme ministre, je vais être vigilant et ça, M. Couillard le sait. Il n'aura pas de privilège.

Q: Je voudrais vous parler un peu du CHUM. Vous avez déjà dit que 97% de ce qui se fait au CHUM est bon. Est-ce que depuis que le directeur général du CHUM, Denis R. Roy, a démissionné, 100% de ce qui se fait au CHUM est bon?

R: Pas du tout! Dans tous les établissements du Québec, au moins 95% de ce qui se fait est correct. Le CHUM fait beaucoup de belles choses. (...) Les 3% d'améliorations qu'il doit atteindre, c'est les patients à l'urgence qui attendent plus de 48 heures et les délais trop longs dans certaines chirurgies. Le Dr Roy n'a rien à voir là-dedans.

Q: Avez-vous été mêlé à la démission du Dr Roy?

R: On a eu des discussions dans le sens où c'est un dossier qui a été rapide. Mais ça a été la décision du Dr Roy de démissionner. Je tiens à dire que le Dr Roy a fait un grand apport au CHUM.

Q: Lui avez-vous parlé depuis son départ?

R: Non.

Q: Pourquoi est-ce si difficile pour les médias, la population et même les médecins d'avoir des informations sur le futur CHUM?

R: Les gens veulent savoir des choses que même nous on ne sait pas. Les gens veulent savoir combien ça va coûter exactement. Je ne peux pas répondre à ça. On a des estimations. On peut dire que nos travaux avancent très bien. Le plus gros problème du CHUM, c'est le cynisme des gens quand ils en parlent et leur tendance à toujours dire que le futur CHUM ne se fera pas. Moi je vous confirme que ça va se faire.

Q: Vous avez soulevé la controverse cette semaine en vous positionnant contre les centres d'injection supervisés. Depuis, presque tous les spécialistes se sont prononcés en faveur des centres d'injection...

R: Attendez! Si c'est si bon que ça, pourquoi n'y a-t-il qu'un seul centre d'injection supervisé au pays? Demandez à Monsieur Tout-le-Monde ce qu'il dira si on installe un centre à côté de chez lui. Va-t-il être d'accord? La question qu'il faut se poser, c'est est-ce qu'on est prêt comme société à accepter de superviser les actions des toxicomanes?

Q: Ce qui m'étonne, c'est que vous êtes médecin et que plusieurs de vos collègues appuient les centres d'injection.

R: Quand on demande aux médecins s'ils sont pour ou contre les centres d'injection, c'est facile pour eux de dire oui. Demandez-leur ensuite s'ils seraient prêts à en avoir un à côté de chez eux. La réponse serait sûrement différente. Il ne faut pas gérer par des sondages. Ça n'a aucune valeur.

Q: Donc, comme ministre, vous ne gérerez pas par sondage?

R: Bien... Sur des questions précises, les sondages amènent quelque chose. Mais sur des questions comme ça, d'éthique profonde... non. Nous, pour le moment, on ne va pas de l'avant avec les centres d'injection parce qu'on veut se laisser le temps de pousser plus loin la réflexion. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en aura jamais. L'OMS et la Santé publique se sont positionnées pour de tels centres. Mais elles se positionnent d'un point de vue médical. Nous, au gouvernement, on doit se positionner d'un point de vue sociétal.

Q: Vous parlez beaucoup de la méthode Toyota. Êtes-vous capable de me l'expliquer en deux phrases?

R: La méthode Toyota, c'est l'utilisation des ressources humaines de la façon la plus efficace pour que ces personnes sur le terrain prennent leurs décisions et nous indiquent ensuite les meilleures façons de faire.

Q: Selon les économistes, jusqu'à trois ans peuvent s'écouler avant que les bénéfices de la méthode Toyota ne soient notés. Est-ce que comme ministre, on peut se permettre d'attendre si longtemps?

R: La réponse, c'est oui, parce qu'il n'y a pas de méthode qui va plus vite. Si je commence tout de suite, dans trois ans, ça va être fait.

Q: Parlez-moi un peu de votre vie personnelle... Vous avez déménagé à Québec?

R: On a acheté à Québec et on déménagera fin septembre. Ma conjointe et mes deux garçons, un de 17 ans et un de 14 ans, arriveront la semaine prochaine. Je suis content de venir à Québec. C'est une ville que je connais bien. La famille de ma conjointe y habite.

Q: Vous avez laissé 1500 patients sans médecin de famille à Alma. Avez-vous fait une croix sur votre carrière de médecin?

R: Ça dépend... Si je fais une carrière de six mois en politique, je vais retourner en médecine, c'est sûr! Mais si je fais une carrière de 10 ans, je réévaluerai. Mais mon plan de match, en ce moment, c'est de retourner en pratique après. J'aimais beaucoup, beaucoup la pratique.

Q: Comment voudriez-vous que soit le système de santé dans 10 ans?

R: Un système fluide. Sans délai d'attente. Avec toujours une grande qualité de soins. Un système où les gens en ont pour leur argent. Un système public très fort. Dans lequel on a une complémentarité avec le privé.

Q: De combien d'argent de plus aurez-vous besoin pour y arriver?

R: Aucun. Le problème, ce n'est plus l'argent, c'est l'organisation de services.