Le fait que les policiers impliqués dans la mort de Fredy Villanueva n'avaient toujours pas été interrogés, trois jours après le drame, constitue une «certaine faute de procédure», estime le criminologue André Normandeau. «Le syndicat des policiers dit que ses membres qui se retrouvent face à ces événements sont affectés psychologiquement. Mais les témoins civils aussi le sont.»

Si les policiers montréalais n'ont pas été interrogés tout de suite, c'est une question de «tradition» plutôt que de procédure formelle, observe M. Normandeau. «C'est purement une tradition historique», dit M. Normandeau. Une habitude qui a été maintes fois dénoncée dans les enquêtes publiques qui se sont penchées sur les méthodes policières ces dernières années.

«L'explication des policiers est de dire qu'ils sont traumatisés et qu'on doit attendre un certain temps (avant de les interroger), dit M. Normandeau. Mais on pourrait dire que les autres témoins civils sont aussi traumatisés. Je ne trouve pas que c'est une bonne raison. Je peux comprendre que les policiers soient traumatisés autant que les autres, parfois un peu plus. Mais ils sont surtout des officiers de justice; ils doivent collaborer immédiatement même s'ils sont stressés.»

Rien n'oblige les policiers à interviewer les témoins d'un acte criminel dans un délai prescrit. Le mieux est toujours de le faire «le plus tôt possible». «Dans les directives (ça n'est pas dans la loi), on dit qu'il faut interroger les témoins le plus tôt possible, explique M. Normandeau. Ça laisse évidemment une marge de manoeuvre très grande à l'interprétation. Mais ça s'applique à tout le monde, autant aux policiers qu'aux témoins civils.»

«L'idée est de le faire le plus tôt possible parce qu'on oublie des choses. Mais parfois, dans le feu de l'action, on oublie aussi des éléments. Je dirais que de bons enquêteurs rencontrent les témoins au début et y reviennent selon les besoins.»

Règle générale, les témoins collaborent bien aux enquêtes policières. L'échange d'informations entre le policier et le témoin bénéficie d'ailleurs aux deux parties, ajoute Arlène Gaudreault, professeur à l'École de criminologie de l'Université de Montréal (UdeM). Le témoin, qui est parfois une victime, a besoin de raconter son histoire, de savoir qu'une enquête est en cours, que des accusations seront peut-être portées.

Plus le temps passe, plus il est possible que la version du témoin change. «C'est une question de détails, dit Louise Viau, professeure de droit à l'UdeM. Si vous me demandez ce que j'ai mangé la semaine dernière, je ne m'en souviendrai peut-être pas. Il y a des détails qui peuvent paraître anodins mais qui sont importants pour l'enquête.»

Mais le temps ne nuit pas nécessairement à l'enquêteur. Un homme qui a d'abord affirmé avoir été provoqué par un autre pourrait finir par donner l'heure juste, dit M. Normandeau. D'autres langues finissent par se délier avec le temps qui passe.

Il n'y a pas de délai pour mener une enquête, ajoute sa collègue Louise Viau. Il y a les règles qui sont enseignées, mais aussi des éléments plus «terre à terre», comme l'organisation du service de police. «Est-ce qu'on autorise les enquêteurs à faire des heures supplémentaires ou leur demande-t-on de faire leur enquête durant les heures normales de travail? Tout ça entre en ligne de compte.»