Malgré l'incertitude et la grogne, le gouvernement refuse de rendre publiques les évaluations qui l'ont amené à couper de nombreux programmes culturels. Pendant ce temps, la liste s'allonge.

Un compte-rendu officiel remis à La Presse hier par le ministère du Patrimoine fait maintenant état de 14 programmes, fonds ou portions de programmes qui ont été supprimés par le gouvernement Harper dans le domaine de la culture. La valeur de ces coupes s'élève à 44,8 millions.

Il était difficile d'y voir clair jusqu'ici. Un quotidien de Montréal faisait état hier de 12 programmes totalisant 40,2 millions, tandis qu'un autre de Toronto parlait de 10 programmes pour le montant total de 44,8 millions. Pendant ce temps, d'autres médias, dont La Presse, parlaient toujours de sept programmes et 23 millions.

Quoi qu'il en soit, aucune évaluation jusqu'ici publiée sur les sites web du ministère du Patrimoine ou du ministère des Affaires étrangères n'avait recommandé d'adopter des mesures aussi drastiques.

L'analyse la plus négative a été faite au sujet du Programme national de formation dans le secteur du film et de la vidéo, une coupe de 2,5 millions. Publié il y a quelques mois, le document a recommandé de clarifier les raisons qui poussent le fédéral à s'impliquer dans ce secteur et de mieux cerner ses objectifs.

Souvenirs de musique canadienne, un autre programme déjà identifié comme supprimé, n'a jamais fait l'objet d'une telle recommandation. Un rapport de vérification daté d'octobre 2007 a reconnu l'utilité du programme qui consiste à acquérir et conserver les oeuvres musicales canadiennes, mais a conseillé de le placer sous la responsabilité de Bibliothèque et Archives Canada. Personne n'a pu confirmer hier si la recommandation avait été suivie.

La troisième et dernière évaluation portée à l'attention de La Presse, qui touche PromArt, recommandait en 2006 d'allouer encore plus de ressources au programme de représentation internationale.

«Le programme a clairement contribué à l'amélioration des débouchés professionnels pour les artistes canadiens et pour les autres membres de la communauté culturelle et le Canada occupe maintenant une place de choix sur la scène internationale en matière d'excellence artistique», indique le rapport de janvier 2006.

«Confidentiel»

Le gouvernement Harper affirme toutefois s'être basé sur des évaluations stratégiques plus globales pour prendre ses décisions, et non sur ces évaluations ponctuelles de programmes. Une porte-parole du ministère du Patrimoine a décrit ces évaluations comme «une nouvelle démarche de gestion de fonds publics», au cours desquels plusieurs programmes de plusieurs ministères ont été analysés pour vérifier s'ils étaient «efficaces et performants».

Malheureusement, il est impossible des les consulter. «Les analyses conduites dans le cadre de l'Examen stratégique sont des documents confidentiels du Cabinet et, à ce titre, ne peuvent être rendues publiques», a déclaré cette porte-parole, Dominique Collin.

Cela est loin de satisfaire des gens du milieu artistique, qui demandent au gouvernement de fournir des explications et de faire marche arrière, ou à tout le moins d'expliquer son plan B.

«Le fait que l'on arrive à la conclusion qu'il faut couper une multitude de différents volets et programmes du ministère du Patrimoine sans que ce soit expliqué et que les études soient publiées, cela démontre un manque de transparence», a dénoncé Simon Brault, président de Culture Montréal.

Pierre Le François, directeur général de l'Association nationale des éditeurs de livres, a appris vendredi dernier par une employée de Patrimoine Canada qu'une partie d'un programme d'aide aux éditeurs sera coupé en avril prochain. Hier, il étudiait ces changements, pour tenter de comprendre comment, exactement, ils pourraient affecter les membres de son organisme.

Lui aussi aimerait obtenir des explications.

«S'ils ne peuvent pas rendre publics tous les contenus, cela ne me dérange pas. Mais qu'ils donnent, au moins, le rationnel d'une manière un peu plus raffinée.»

En entrevue à La Presse, mardi, le secrétaire d'État en matière de Langues officielles, James Moore, a qualifié d'exagérée la réaction des milieux artistiques et politiques. Les maires de Montréal et de Toronto ont écrit il y a quelques jours au premier ministre Stephen Harper pour l'enjoindre de remplacer les programmes abolis.

Une porte-parole du ministère du Patrimoine Dominique Collin a souligné hier que ces programmes ne représentaient qu'une partie des 3,4 milliards consacrés à la culture par le gouvernement Harper. Elle a ajouté que le budget du Conseil des Arts du Canada avait augmenté de 50 millions, les festivals locaux recevaient 30 millions supplémentaires et que l'impôt sur les gains en capital des actions des sociétés publiques données à des organismes charitables ou à des fondations privées avaient été éliminé.

Les programmes touchés

Voici une liste des programmes éliminés ou réduits à partir d'avril 2009 ou 2010. Cette liste a été fournie hier à La Presse par le ministère du Patrimoine. À noter que le programme PromArt, aussi aboli mais qui relève du ministère des Affaires étrangères, s'ajoute à cette liste. PromArt totalisait 4,7 millions de dollars.

Le total des coupes jusqu'ici confirmées par Ottawa s'élèvent donc à 44,8 millions.

Éliminés

1) Le Fonds Mémoire canadienne: 11,57*

2) Le Volet de recherche et de développement du Programme de la culture canadienne en ligne: 5,64

3) Le Programme de distribution dans le Nord: 2,1

4) Le portail Culture.ca: 3,8

5) L'Observatoire culturel du Canada et son portail Culturescope.ca: 0,56

6) Le Programme Préservation des longs métrages et accès du Trust AV: 0,15

7) Le Programme Préservation de la musique canadienne et accès du Trust AV: 0,15

8) Le Fonds canadien du film et de la vidéo indépendants: 1,5

9) Le Programme national de formation dans le secteur du film et de la vidéo: 2,5

10) Le programme des Routes commerciales: 7,13

Réduits

11) Programme de consolidation des arts et du patrimoine canadiens (trois volets éliminés dès le 1er avril 2009): 3,5

12) Volet de la chaîne d'approvisionnement du Programme d'aide au développement de l'industrie de l'édition: 1,0

13) Programme d'aide au développement de l'industrie de l'édition du Fonds du Canada pour les magazines: 0,5

* en millions de dollars