Un groupe de parlementaires recommande au ministère québécois de l'Environnement d'abolir la consigne sur les contenants non réutilisables. Or, pour des milliers de gens démunis, seuls, atteints de problèmes de santé mentale ou de dépendance, la collecte de canettes et de bouteilles permet d'ajouter chaque semaine quelques dollars supplémentaires à un bien maigre revenu.

Une, deux, trois, cinq, 10, 15, 20, 25, 26, 27, 28...

À la vingt-huitième poubelle, Steve Ferguson pousse un petit cri de satisfaction. «C'est la première de la journée», dit-il en extirpant une bouteille de boisson gazeuse d'une poubelle de la rue Sainte-Catherine Est, dans le quartier gai.

«Ce matin, ça ne sera pas fort, prédit-il. Le truck de vidanges vient de passer.»

Steve sait de quoi il parle. Depuis plusieurs années, il se lève aux aurores pour partir à la recherche de canettes et de bouteilles consignées qui lui rapportent cinq, 10 ou 20 cents.

Dans sa main gauche, il tient fermement un sac gris des magasins Simons, dans lequel il accumule ses précieux trésors. Le sac est percé, sale, fripé. Steve ne veut pas s'en départir. «C'est solide. Je le rince tous les soirs dans la fontaine du parc», dit-il en le secouant pour montrer sa rigidité.

Le parc, c'est la maison de Steve. N'importe quel parc. Là où il peut dormir. Quelques heures à peine, après sa très longue journée à sillonner les rues, les parcs et les environs des hôpitaux du centre-ville pour faire ce qu'il appelle son «travail».

Pour gagner quelques dollars, il fouille les poubelles de la ville et les bacs à recyclage. Parfois, il éventre les sacs à ordures où il distingue la forme ou la couleur d'une bouteille. Pas très écologique, comme geste. «Si je me fais prendre, je paie l'amende», dit cet homme bourru, analphabète, qui parle si fort que les gens se retournent sur son passage, et dont les revenus (aide sociale, rente) sont administrés par le curateur public.

Des gens qui, comme Steve, collectent des contenants consignés qu'ils revendent pour une poignée de dollars, il y en a des centaines dans les rues de Montréal. Âgés ou sans abri, atteints de problèmes de santé mentale ou de dépendance, ils ont en commun d'avoir de maigres revenus. Ils marchent durant des heures pour chasser l'ennui.

Mais leur «métier» est menacé, car cette collecte ne se fait pas sans heurts. Parlez-en aux détaillants en alimentation, qui gèrent la récupération de ces contenants. En outre, avec la collecte sélective, la consignation n'a plus sa place, croient de plus en plus de personnes, notamment des parlementaires (voir autre texte).

«Si on nous enlève ça, on fera autre chose, dit Steve, fataliste. On va encore nous voler notre job.» Steve affirme qu'il a travaillé à la manutention de marchandises dans le secteur du camionnage, mais qu'il a perdu son emploi «à cause des machines».

Il prétend qu'il ramasse des bouteilles davantage pour passer le temps que pour les revenus qu'il en tire. Il dit même aider plus mal pris que lui quand il le peut. «Il y a quelques jours, j'avais caché un sac dans un buisson. Il était trop tard pour aller vendre les bouteilles. Je me le suis fait prendre. Tant mieux si cela aide quelqu'un qui en a plus besoin que moi.»

Au fil de notre longue promenade, rue Sainte-Catherine, nous rencontrons d'autres collecteurs. Ils sont nombreux, ce qui fait baisser les revenus. «Faire 10$ par jour, c'est impossible, dit Steve. En plus, la liqueur, ça brûle l'estomac. Les gens boivent de l'eau.» Et les bouteilles d'eau, on le sait, ne sont pas consignées.

Après trois heures de marche, alors que nous revenions vers notre point de départ, Steve a ouvert son sac, y a plongé le regard pour compter mentalement le nombre de contenants qui s'y trouvaient.

«Soixante-cinq cents, a-t-il lancé en relevant la tête. Si on se rend à une piasse, on va être ben chanceux.»

Quelques minutes plus tard, nous avons croisé une jeune femme visiblement mal en point.

«As-tu 65 cents?» a-t-elle demandé à Steve. Il ne s'est pas arrêté. Elle a haussé les épaules. Nous avons poursuivi notre route. Direction: le supermarché Métro et ses quatre machines gobe-contenants. Il a fallu attendre. D'autres ramasseurs nous avaient devancés, formant une file hétéroclite avec leurs sacs poisseux et cabossés. La pluie commençait à tomber.