Ottawa a commencé son exercice financier du mauvais pied avec l'annonce d'un rare déficit pour les mois d'avril et mai 2008. Ces données laissent présager une ère nouvelle dans les finances publiques canadiennes, selon des experts.

Le gouvernement a inscrit un déficit de 500 millions, une chute importante lorsqu'on compare ce résultat à l'excédent de 2,8 milliards enregistré à la même période l'an dernier.

Le ministère des Finances a attribué ces résultats à une diminution des revenus de 1,6 milliard, principalement au chapitre de l'impôt sur le revenu des entreprises – en baisse de 1,1 milliard – et de la taxe sur les produits et services (TPS) – en baisse de 876 millions.

Trop tôt pour s'inquiéter

Le bureau du ministre des Finances Jim Flaherty a cependant voulu prévenir des conclusions alarmistes et trop hâtives. «Les résultats concernant deux mois de l'année ne sont pas révélateurs pour l'année au complet », a expliqué le porte-parole Chisolm Pothier. «Le gouvernement prévoit un excédent de 2,3 milliards de dollars pour l'exercice 2008-2009. Nous avons bon espoir de réaliser cet excédent», a-t-il ajouté.

Selon le chef libéral Stéphane Dion, ce déficit prouve l'incapacité du gouvernement Harper à gérer les finances publiques. « Ils nous sont arrivés à l'automne dernier avec un budget rose bonbon, ils n'ont rien vu venir du ralentissement économique mondial, a-t-il dénoncé. On les avait prévenus, pourtant, et maintenant on fait face aux même erreurs que les conservateurs ont commises dans le passé. »

Aux yeux de certains experts consultés par La Presse, ce bilan révèle qu'une transition s'amorce. Les années marquées de surplus astronomiques, flirtant avec les 10 milliards de dollars, seraient bel et bien terminées, et le futur réserverait aux contribuables canadiens des budgets beaucoup plus serrés, très près de l'équilibre. «Le fait que le bilan soit en-dessous de zéro n'est pas significatif, mais le fait que les revenus aient autant baissé par rapport aux années passées, ça, oui, c'est très significatif», relève Marc Pinsonneau, économiste principal à la Banque Nationale.

Fini, les surplus ?

Les baisses de revenus sont attribuables à des mesures adoptées de façon permanente par le gouvernement fédéral, dont l'impact se fera donc sentir cette année et les suivantes. «Cela tend à confirmer ce que le ministre relevait déjà au moment de déposer son budget : l'ère des surplus importants de fin d'année tire à sa fin», affirme M. Pinsonneau.

Les experts ont toutefois relativisé l'impact de ce «mauvais départ». Un bilan inscrit à l'encre rouge en mai ne promet pas un budget déficitaire en fin d'année, loin de là, disent-ils. « Il ne faut pas s'alarmer, ce n'est pas nécessairement l'indicateur de ce qui va se passer au cours des prochains mois », croit Yves Saint-Maurice, économiste en chef au Mouvement des caisses Desjardins. En effet, les dépenses du gouvernement sont parfois très volatiles, explique-t-il. «Il peut y avoir eu plus de sorties fiscales en avril et en mai, qui seront largement compensées par des rentrées plus importantes au cours des prochains mois.» Par exemple, les enchères du spectre réservé aux services de téléphonie sans fil, qui viennent de se terminer en créant des retombées inattendues de 4,25 milliards pour le gouvernement, devraient renverser la tendance observée en début d'année.

Le son de cloche est le même à la Banque Nationale, dont les analystes n'ont pas révisé à la hausse la probabilité que le gouvernement fédéral enregistre un déficit en 2008 ou en 2009. Ce risque avait été évalué à 25 % au moment du dépôt du budget Flaherty, l'hiver dernier. «Il est beaucoup trop tôt pour s'inquiéter», confirme M. Pinsonneau.

La dernière fois qu'Ottawa a affiché un déficit pour les deux premiers mois de l'exercice remonte à 2002. Ce déficit atteignait alors 400 millions, ce qui n'avait toutefois pas empêché le gouvernement de terminer l'année avec un excédent de quelque 7 milliards.