Alors que Stéphane Dion croit avoir réussi à renverser la tendance défavorable aux libéraux fédéraux au Québec, un de ses députés de l'Ontario traite les souverainistes québécois de prétentieux et de losers.

Reconnu pour son franc-parler, le député libéral de Halton, Garth Turner, affirme aussi dans un long texte publié dans son blogue, The Turner Report, que les souverainistes sont «hostiles, avares, machos, égoïstes» et qu'ils sont des «losers qui prônent la balkanisation» du pays.

M. Turner s'est lancé dans cette diatribe dans un texte qui visait surtout à dénoncer le refus du premier ministre Stephen Harper de participer à un débat télévisé avec Stéphane Dion sur les changements climatiques et sur la taxe sur le carbone proposée par les libéraux. M. Dion a proposé à plus d'une reprise d'affronter M. Harper dans un duel télévisé. La dernière fois, il a même suggéré que la joute oratoire ait lieu à Calgary, la circonscription de M. Harper.

M. Dion a entrepris hier un voyage de cinq jours en Alberta afin de faire la promotion de son plan, le Tournant vert, qui propose une taxe sur le carbone pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. L'argent récolté serait ensuite utilisé pour réduire les impôts des contribuables et des entreprises.

Cette promesse des libéraux soulève la grogne dans les provinces de l'Ouest, en particulier l'Alberta, grande productrice de pétrole et de gaz à effet de serre.

M. Turner, qui a été élu sous la bannière du Parti conservateur aux élections de janvier 2006 avant d'être expulsé du caucus à cause de ses indiscrétions, invite son chef, Stéphane Dion, à tenir tête aux Albertains dans le dossier de la taxe sur le carbone comme il l'a fait avec les souverainistes du Québec durant le débat sur la Loi sur la clarté.

«M. Dion ira à Calgary et à Edmonton, où il tiendra une assemblée de cuisine sur son plan pour contrer les changements climatiques. On peut ne pas être d'accord avec tout ce que cet homme dit, mais on doit admirer cette qualité. Il a déjà tenu tête aux souverainistes, qui ont une haute opinion d'eux-mêmes, sont hostiles, avares, machos, égoïstes, des losers qui prônent la balkanisation du pays. Je présume qu'il peut faire la même chose en Alberta», affirme M. Turner sur son blogue.

Ces propos ont fait bondir Stéphane Dion, qui a rappelé son député à l'ordre hier.

Joint par téléphone à Toronto hier soir, M. Turner a dit à La Presse que ses propos avaient été pris hors contexte. Il a insisté pour dire qu'il voulait simplement saluer le courage de son chef, qui se rend en Alberta, hostile aux libéraux, pour défendre la taxe sur le carbone.

«Je voulais simplement saluer son courage. Je ne voulais pas manquer de respect aux nationalistes du Québec. C'est probablement mon enthousiasme délirant qui m'a amené à dire de telles choses. Mais comme mon chef me l'a dit, il faut que le débat soit respectueux. Je suis d'accord avec cela. Si je suis allé trop loin, eh bien voilà, je l'ai fait encore une fois. Je suis navré», a-t-il affirmé.

Le député a promis de corriger le tir sur son blogue plus tard en soirée.

Au référendum de 1995, 49,4% des Québécois ont voté en faveur de l'option souverainiste et 50,6 % l'ont rejetée.

À Québec, Mario Dumont, qui était dans le camp du Oui en 1995, s'est dit «renversé» par les mots «choquants et insultants» employés par le député Turner.

M. Dumont a affirmé que le député de Halton devrait être ramené à l'ordre par son chef. C'est aussi l'avis du chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton.

«On peut être en désaccord avec les souverainistes, mais ce genre de mépris n'a pas sa place en politique, a dit M. Layton. Après le scandale des commandites, on pourrait s'attendre à plus de respect du Parti libéral envers les Québécois. Ces commentaires n'aident pas du tout à créer les conditions gagnantes pour le Canada au Québec.»

Les souverainistes sont demeurés étonnamment sereins, dans les circonstances.

La chef du Parti québécois, Pauline Marois, a délibérément choisi de ne pas jeter d'huile sur le feu. «Le texte parle de lui-même. Je n'ai aucun commentaire à faire. Je ne participerai pas à son blogue», a-t-elle déclaré en riant pendant un point de presse à Québec.

Les bloquistes qui côtoient M. Turner au Parlement et collaborent à l'occasion à ses émissions se disent quant à eux surpris de ses paroles. «Il y a un peu d'hypocrisie dans son affaire. S'il trouve intéressant qu'on commente l'actualité politique, je trouve ça un peu étrange qu'il nous considère à ce point méprisables», a confié le leader parlementaire, Pierre Paquette.

«Imaginez qu'un député du Bloc québécois dise d'un fédéraliste ou de n'importe quel député d'un parti canadien la moitié de ce que M. Turner a dit ... Il me semble que ça aurait provoqué un tollé dans tout le Canada», a-t-il ajouté.

Le Parti conservateur a aussi condamné les propos de M. Turner. Un porte-parole du parti, Ryan Sparrow, a invité M. Dion à désavouer les commentaires de M. Turner, qui, selon lui, manquent de respect envers les Québécois et les Albertains.

«C'est toujours la politique du Parti libéral de braquer une région contre une autre. Si Stéphane Dion a le moindre respect pour les Albertains et les Québécois, il doit s'excuser et forcer Garth Turner à retirer ses commentaires», a dit M. Sparrow dans un courriel envoyé aux médias.

Indépendant de fortune, M. Turner a été élu député conservateur aux dernières élections. Mais il a été expulsé du caucus en octobre 2006 après avoir été accusé par ses collègues de divulguer sur son blogue toutes sortes d'informations secrètes au sujet du caucus. Il s'est joint au Parti libéral en février 2007.

M. Turner a été élu au Parlement fédéral pour la première fois en 1988 et il y a siégé jusqu'en 1993. Il a brièvement été ministre du Revenu, avant de se présenter à la direction du Parti conservateur.

- Avec La Presse Canadienne