Peut-être certains se souviennent du temps où nous allions en autobus nous baigner sur les plages municipales. D'autres se souviendront des chalets dégingandés de nos parents souvent pauvres, mais pour qui l'effort financier d'un court séjour près de l'eau était la récompense de toute une année de labeur. On se souvient aussi du lac de notre enfance et des algues que nous coupions pour garder notre espace de baignade propre. D'autres n'auront connu que les piscines publiques et privées.

Ce n'est pas mal, mais quand même, l'eau de différentes couleurs qui nous accueillait, souvent sans que nous puissions voir le fond, c'était... comment dire! Et puis, combien de monstres imaginaires, pensions-nous, vivaient là-dessous. Nous ne savions pas, comme nous l'enseignent maintenant les savants de l'eau, que ça fourmillait de cyanobactéries installées bien avant l'époque des dinosaures.

Les temps ont changé, et las de voir les eaux de baignade se détériorer, Eau Secours! et ses groupes membres entreprennent de faire connaître une situation bien cachée. Les commerçants opérant sur les rives des lacs ont entretenu le secret durant des années. «Évitons de faire peur aux touristes», disaient les propriétaires de camping de la baie Missisquoi. Vingt ans de silence, de camouflage contre la honte verte. Après avoir construit des piscines pour remplacer les lacs, les marchands se disaient: «pourvu que les touristes se rendent ici!» On peut appeler cela de l'arnaque: on invite la famille au bord de l'eau et ensuite on la balance à la piscine. Non, non, ce n'est pas à toutes les années! C'est une mauvaise période, vous avez été malchanceux, disaient-ils.

Il fallait bien un jour que cela cesse et c'est grâce au courage de groupes en développement touristique et groupes environnementaux comme ceux de la baie Missisquoi, que la stratégie de la mise à vue fut lancée, notamment en 2005 par des conférences et un spectacle des Porteurs d'eau d'Eau Secours!. Devant cette action médiatique, voilà que le ministre Thomas J. Mulcair promet encore plus d'argent pour... la recherche. En 2006, la Coalition court après le ministre Béchard, pour que celui-ci admette qu'il y a au moins 70 lacs touchés par les algues bleues. De fuite en fuite, le ministre passe «la puck» à sa successeure avec la promesse d'un plan d'action pour le printemps 2007. La nouvelle ministre s'empresse de faire le tour du Québec, pour finir à l'automne avec une grande messe où les groupes contestataires dont Eau Secours! ne furent pas invités. La saison 2007 se termina par un score de 195 lacs touchés par le phénomène des algues bleues.

Voilà qu'en 2008, le gouvernement a choisi de ne plus publier la liste des lacs touchés. En choisissant cette omerta, les alliés du silence arnaquent les touristes et se vouent à des représailles économiques à plus ou moins long terme. N'ont-ils donc rien retenu de la fâcheuse expérience de la baie Missisquoi?

Désabusés par le manque d'information, l'an prochain, les touristes préféreront la mer aux lacs du Québec, ou encore, rester chez eux et investir dans une piscine hors terre, pour ceux qui le peuvent, et ils auront pris en grippe la région cachottière.

Au nom du profit, les commerçants sont prêts à mettre à risque la santé des touristes qui, eux, ne reçoivent pas les avis de la Santé publique.

Est-ce qu'il y a eu exagération quant aux nombres de lacs touchés. Oui, car lorsque c'était une baie, le ministère disait c'est tout le lac. Pourquoi? Par peur de devoir faire de l'embauche de personnel. Alors, comment savoir, si vous demeurez à des lieux de la municipalité touchée, si le lac de votre choix est propre à la baignade, ou simplement impropre même à la planche à voile?

Pendant ce temps, confortés dans le silence, les autorités locales tardent à faire modifier les pratiques des industries et des riverains qui nourrissent consciemment ou non les algues bleues. À qui profite réellement ce mutisme et pour combien de temps encore?

La pression tombée, les souris dansent jusqu'à ce que le chat sorte du sac.

André Bouthillier

président Eau Secours!