L'un des derniers vestiges du programme nucléaire de Saddam Hussein se trouve en ce moment même dans le port de Montréal. Une importante cargaison d'uranium naturel concentré en provenance d'Irak y a été livrée vendredi soir à bord d'un navire américain, au cours d'une opération entourée du plus grand secret.

Le précieux chargement appartient à l'entreprise canadienne Cameco, qui l'a acheté du gouvernement irakien pour plusieurs millions de dollars l'an dernier. Les échanges ont été supervisés par le gouvernement américain et c'est à sa demande expresse que la transaction et les déplacements de la cargaison ont été menés en secret.

«Nous avons l'habitude d'assurer le transport d'uranium partout dans le monde, mais cette fois, la provenance en était vraiment particulière. Pour des raisons évidentes, il a fallu prendre des mesures extraordinaires», a indiqué à La Presse le porte-parole de Cameco, Lyle Krahn.

Les Américains craignaient que des insurgés attaquent le convoi au moment de sa sortie d'Irak. Les 550 tonnes d'uranium ont donc quitté Bagdad dans 37 avions différents vers une base militaire américaine dans l'océan Indien. Là, elles ont été chargées à bord d'un cargo américain à destination du Canada, le 3 juin.

Le cargo a été délesté samedi matin sur le quai Baker du port de Montréal. Sa cargaison attend maintenant d'être transportée par camion jusqu'en Ontario. Tous les conteneurs devraient quitter la ville d'ici à vendredi, a indiqué le porte-parole du Port de Montréal, Jean-Paul Lejeune.

Cameco transformera cet uranium dans ses usines de Port Hope et Blind River, en Ontario, pour qu'il alimente les réacteurs de centrales nucléaires. Cameco n'a pas voulu préciser combien a coûté la transaction, mais M. Krahn a expliqué que l'offre des Américains était des plus intéressantes, et pas seulement au plan financier. «Cela permet à la fois de soustraire de l'uranium d'une région instable et de produire une énergie propre.»

Mais le secret entourant la transaction a aussi soulevé des critiques, hier. «Le gouvernement canadien et Cameco auraient dû prévenir la population de l'arrivée du chargement et des tractations qui l'ont précédé. Des questions de sécurité et d'environnement sont en jeu, a commenté Dave Martin, responsable du dossier de l'énergie pour Greenpeace. S'il n'y avait réellement aucun danger, pourquoi a-t-on pris autant de précautions?»

Le gouvernement du Canada n'est pas tenu d'aviser les citoyens de ce genre d'opération. «Les déplacements de matières dangereuses sont déjà encadrés de façon très rigoureuse. Puisque tout s'est déroulé selon les règles, il n'était pas nécessaire d'aviser la population», a indiqué Marie-Anyk Côté, porte-parole de Transports Canada.

L'administration portuaire relève aussi qu'il n'y a rien d'anormal à ce que du matériel radioactif transite par Montréal. «La seule particularité, c'est que, d'habitude, nous l'exportons au lieu de l'importer», a dit Jean-Paul Lejeune. Les employés auraient été informés de la nature de la cargaison qu'ils avaient à manipuler et tous les conteneurs étaient frappés du symbole universel de la radioactivité, une hélice rouge au coeur d'un cercle jaune.

C'est la première fois que Cameco conduit une opération aussi délicate. «C'est l'affaire d'une fois. Cela ne se répétera pas», a affirmé hier M. Krahn.

Avec Associated Press