À la station de métro Berri-UQAM, les vendeurs écoulent sans gêne leur marchandise au vu et au su des passants, presque sous les yeux des policiers. Quelques heures ont suffi à notre journaliste et à notre photographe pour percer à jour ce petit trafic, un des secrets les moins bien gardés du monde interlope. La situation s'aggrave, les plaintes s'accumulent. Et les policiers ne semblent pas vouloir prendre les moyens pour éradiquer ce fléau.

«De nos fenêtres, on peut observer toutes les transactions. On se demande pourquoi monsieur et madame Tout-le-Monde les voient, mais pas les policiers», s'interroge Guylaine, employée d'Hydro-Québec, dont le bureau est perché dans la tour De Maisonneuve.

La question mérite qu'on s'y attarde.

Par les grandes baies vitrées de leurs bureaux, Guylaine et ses collègues sont aux premières loges pour contempler les activités en cours à toute heure du jour dans le parc Émilie-Gamelin et aux abords de la bouche du métro Berri-UQAM, porte d'entrée du Quartier latin, l'un des secteurs les plus touristiques et fréquentés de l'île.

En mars, des employés du quartier avaient pourtant reçu la note suivante: «À la suite d'une recrudescence de plaintes, le Service de police de la ville de Montréal a intensifié ses activités dans le secteur de la Place Dupuis. Depuis le 22 janvier dernier, une dizaine de policiers patrouillent à pied le quadrilatère et interviennent rigoureusement dès que nécessaire.»

Quelques mois plus tard, les revendeurs de drogue font toujours la loi à Berri-UQAM.

La présence de ces indésirables a forcé Guylaine à modifier ses habitudes. Sur ses gardes, elle ne se promène plus aussi librement qu'avant dans le parc qui jouxte son bureau. «Ça fait peur. Leur présence est inquiétante et dérangeante», résume-t-elle.

La situation irrite également les commerçants. «C'est sûr que le harcèlement des petits dealers est un inconvénient pour les affaires», explique l'employée d'un restaurant, qui a préféré garder l'anonymat par crainte de représailles.

«Appelle ton boss

Pas besoin d'être un as de la filature pour repérer les revendeurs de drogue à la sortie du métro et au parc Émilie-Gamelin. Quelques heures suffisent pour comprendre les rouages de leur négoce, solidement implanté et même structuré.

Les clients, nombreux, n'ont pas à se casser la tête pour trouver les vendeurs, tout aussi nombreux. Leur quartier général semble être un banc situé près de la bouche du métro et d'une rangée de téléphones publics. Parfois, ils s'assoient sur le rebord de l'un des deux bacs à fleurs en béton installés près de la station.

Une poignée de jeunes y végètent pratiquement en permanence, au coeur d'un étourdissant va-et-vient.

À première vue, leur clientèle est hétéroclite: toxicomanes en manque, hommes d'affaires en veston-cravate, jeunes étudiants branchés et cyclistes en cuissard.

S'il n'y a personne, il suffit de s'asseoir quelques minutes près du métro pour se faire offrir de la drogue.

Une jeune femme repère les clients pour les diriger vers les quelques vendeurs qui vadrouillent sur la place, sans doute occupés à protéger leur territoire, car la lutte est féroce dans le coin.

Lorsqu'un vendeur anglophone a proposé de la marijuana à La Presse, en insistant sur le fait que la sienne était la meilleure des environs, deux jeunes hommes ont fondu sur lui pour le plaquer contre un bac à fleurs en ciment. «Qui t'a dit de vendre ici? Qui est ton boss?» a martelé le plus costaud des deux.

De ses bras couverts de tatouages, il a empêché le vendeur anglophone de se défiler. «Tiens, appelle ton boss», a-t-il ordonné en lui agitant son téléphone cellulaire au visage. «Va chercher le boss!» a-t-il ensuite lancé à son compagnon.

- Who's the boss? a rétorqué l'anglophone.

- Notre boss, c'est le boss des boss, LE boss de l'endroit, a sèchement répliqué l'autre en montrant le site.

Pris de panique, le vendeur anglophone s'est alors libéré en hurlant avant de prendre ses jambes à son cou, pourchassé dans la rue Sainte-Catherine par trois vendeurs.

La scène s'est déroulée en plein jour, sous les yeux d'une foule de passants médusés.

Quelques jours plus tard, le vendeur tatoué et ses acolytes étaient à nouveau sur leur banc.

Moins de cinq minutes après notre arrivée, nous avons observé une première transaction près des téléphones publics. Le manège habituel. Un échange d'argent et de drogue bien visible, dénué de toute subtilité.

Un des vendeurs, en short rouge et camisole noire imprimée d'un squelette, se promène en permanence avec son grand sac bleu en bandoulière.

À côté des vendeurs, plusieurs individus sont échoués à longueur de journée dans le parc. Avachis sur les bancs, amorphes. Tout le monde semble se connaître. À l'occasion, certains vont se mêler aux clients des revendeurs. Plusieurs, intoxiqués et titubants, quémandent des cigarettes et de l'argent aux passants qui osent s'aventurer dans le secteur. Un couple de touristes espagnols l'a appris à ses dépens, pourchassé par un homme agressif qui leur ordonnait littéralement de lui donner une cigarette.

Les policiers et des cadets à vélo patrouillent régulièrement les environs. Parfois, à leur passage, le vendeur en short rouge agrippe son sac bleu et s'engouffre quelques minutes dans le métro.

Dès que le champ est libre, il reprend son poste et poursuit ses transactions à la chaîne.

Nous sommes revenus au parc deux jours plus tard. Le revendeur en short rouge n'était plus dans les parages, mais d'autres avaient pris le relais. En sept minutes, nous avons assisté à quatre transactions devant le bac à fleurs, sous les yeux des passants de la rue Sainte-Catherine.

Un des clients n'a pas hésité à se rouler un joint sur place pour le fumer tranquillement au soleil.

Crimes enregistrés au poste de quartier 21 (2007)

> Homicides: 3

> Tentatives de meurtre: 16

> Voies de fait: 698

> Infractions à la Loi sur les aliments et drogues: 342 (les infractions liées à la drogue sont: possession simple, possession en vue d'en faire le trafic, trafic et culture, importation. Le SPVM n'a pu fournir de statistiques détaillées quant à la vente de drogue aux abords de la station de métro Berri-UQAM.)

Source: Bilan annuel 2007 SPVM