Daniel Goyette dormait à poings fermés, samedi dernier, quand le bruit de son cellulaire qui vibrait sur son bureau l'a tiré de son sommeil. Des journalistes tentaient de le joindre, en sa qualité de président de syndicat, pour qu'il commente la fermeture d'Aleris. Fermeture? Quelle fermeture? La fermeture d'Aleris, après 10 jours de lock-out. Annoncée par la compagnie mère de l'Ohio dans un communiqué de quelques lignes.

Quelle est la réaction des gens de la Mauricie face à cette annonce?

L'exaspération. Non pas tant à l'égard des propriétaires que des syndiqués. «Quand tu gagnes 24 $ l'heure et qu'on te demande une réduction de salaire de 10% ou 20%, eh bien ! va donc voir ailleurs avant de refuser. Si t'es si fin, essaie donc de te trouver une autre job aussi bien payée. Moi, je dis que quand les affaires vont bien, t'es bien payé. Quand les affaires vont mal, c'est normal de se serrer les coudes. Ça ne s'appelle pas rentrer à genoux. Ça s'appelle être flexible. Puis quand les choses reprennent du mieux, tu renégocies ton salaire à la hausse», évalue Jean-Yves Duchesne, chef cuisinier de Nicolet.

«À tout prendre, des fois, t'es mieux d'y penser à deux fois avant de dire non à tes patrons parce que, après, tu te retrouves avec une job à 12 $ ou 13 $ l'heure...» dit Denis, qui travaille dans la construction.

«C'est bien beau, d'avoir tenu son bout, mais je me demande comment ils se sentent, ces pères de famille, quand ils doivent dire à leurs enfants que cette année, non, ils n'iront pas en vacances parce que papa a tenu son bout, dit Pascale, agricultrice. C'est vraiment terrible dans la région de voir tous ces hommes dans la cinquantaine qui perdent leur emploi.»

Fermetures en rafale

Avant Aleris, la Mauricie a vu fermer en rafale Norsk Hydro, Belgo et Dayco. Sans compter Kruger, qui fait régulièrement des mises à pied. Dans ce contexte, le refrain, en Mauricie, c'est de dire que ceux qui ont un emploi doivent se considérer comme bien chanceux et ne pas demander leur reste.

L'entreprise exigeait des coupes équivalant à 5,2 millions. Le syndicat a proposé des réductions totalisant 3,2 millions. Et dans les coulisses, les gens de la CSN disaient ces derniers jours qu'ils seraient prêts à accepter le scénario à 5,2 millions.

«Ce qu'on veut surtout, c'est une garantie qu'Aleris gardera l'usine ouverte au moins un an, par exemple. Autrement, en nous serrant la ceinture, nous ne ferions que financer son déménagement. Avant nous, Aleris a fermé son usine de Toronto. On ne peut pas dire qu'Aleris a une grosse réputation d'entrepreneur...» dit Daniel Goyette, le président de syndicat.

Josée Bourassa, qui est opératrice de machine à Aleris, dit que l'entente lui aurait valu des journées de 12 heures d'affilée. «Mon travail, c'est un travail dur, physiquement, et il fait chaud dans l'usine. J'ai 51 ans et 32 ans de service. Pour moi, ce n'est pas possible.»

Nombreux propriétaires

L'entreprise, installée à Trois-Rivières depuis 1945, a eu plusieurs propriétaires. Le plus connu est Reynolds, qui faisait du papier d'aluminium à usage domestique. Entre 1997 et 2006, la Société générale de financement (SGF) a investi 71 millions dans l'usine, notamment pour la moderniser. Elle a récupéré 40 millions quand Aleris a voulu acheter ses parts en 2006, mais la SGF a perdu 31 millions, explique la porte-parole de la SGF, Marie-Claude Lemieux.

Aleris fabriquait des ailettes de radiateurs pour des voitures comme Toyota, Honda, GM, Chrysler. Or, le secteur de l'automobile ne vit pas ses heures les plus fastes...

Daniel Goyette refuse pour autant de croire que son usine était moribonde et qu'il faut se résigner au pire.

«Le gouvernement a le devoir moral de faire pression pour que l'entreprise ne soit pas déménagée aux États-Unis, mais vendue. Après tout, c'est bien le gouvernement qui nous a menés à la boucherie en vendant ses parts. Le Québec ne peut pas laisser des entreprises américaines venir nous acheter pour mieux nous transférer à la première occasion.»

En avril, dans le dossier de l'usine des sandales Crocs, à Québec, le ministre du Développement économique, Raymond Bachand, avait parlé de «capitalisme sauvage», mais il avait aussi ajouté que les recours de Québec étaient bien minces : «L'entreprise ne nous appartient pas, on ne la nationalisera pas.»

Idem pour Aleris, non? «Peut-être, mais ils devront décontaminer. Et j'espère que le gouvernement va leur faire payer le gros prix, pour cette décontamination», lance M. Goyette.

«Nos entreprises sont récupérées par les Américains les unes derrière les autres et, une fois l'acquisition faite, ils repartent avec les morceaux en laissant sur place une expertise dont ils n'ont que faire, écrivait hier dans Le Nouvelliste Noëlla Champagne, présidente du Parti québécois dans Champlain. Ce contrôle de la concurrence porte un nom et les gouvernements doivent agir avant qu'il ne soit trop tard.»

Le son de cloche d'Aleris est tout autre. Bill Sedlacek, son porte-parole, répétait cette semaine le contenu du bref communiqué, à savoir que l'usine ferme en raison des dommages irrémédiables causés par le conflit de travail.

Un geste délibéré?

Le professeur associé de l'UQAM Michel Grant, qui a derrière la cravate des années d'observation des relations du travail, signale qu'un lock-out ou une grève, «c'est un geste d'espoir qui a pour but de faire bouger la partie adverse. C'est si rare que le lock-out soit si rapidement suivi d'une fermeture que la question se pose : tout était-il décidé d'avance?»

Aleris compte 47 usines et 8800 employés dans le monde.

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Il restera toujours la Nouvelle-Calédonie

Bon nombre de syndiqués d'Aleris ont connu d'autres fermetures d'usine avant celle-là. Et si c'était le temps de mettre le cap sur Madagascar, sur la Nouvelle-Calédonie ou sur le Qatar?

«Quand Norsk Hydro a fermé en 2007, au moins une trentaine de mes collègues ont mis le cap sur ces pays-là. Travailler le métal en fusion, c'est dangereux. Si t'as de l'expertise là-dedans, tes services sont très recherchés à l'étranger, raconte Yves Pineault. Ces gars-là gardent leur maison à Trois-Rivières, et la compagnie leur paie trois ou quatre séjours par année au Québec.»

Qui fait le saut? Des jeunes, essentiellement? «Pas seulement. Quand t'as 50 ans et pas d'avenir ici, un contrat de cinq ans, ça se prend bien.»

Lui-même n'avait pas envie de quitter la Mauricie. Avec Sylvain Croteau - lui aussi un ex de Norsk Hydro - il a acheté la Rose d'or, une salle de banquet de Trois-Rivières où avaient lieu ses réunions syndicales... et où les syndiqués d'Aleris se réunissent maintenant.

Au sortir de son assemblée, jeudi, Denis Fontaine commençait plutôt, lui, à songer aux mines Raglan, au Nunavik, dans le Nord du Québec. «Tu pars 28 jours, t'es ici 15 jours. Avec ma conjointe, on va étudier toutes les possibilités avant celle-là, mais c'est sûr qu'à Trois-Rivières, l'étau se resserre. Et le BS, ce n'est pas pour moi.»