Chaque été, des milliers d'adolescents sont formés au maniement des armes dans les bases des Forces armées canadiennes. Dès l'âge de 14 ans, ils peuvent tirer de vraies balles au moins une fois pendant leur camp de cadets, selon un document interne. Des groupes de pacifistes dénoncent ce qu'ils considèrent comme un endoctrinement militaire des jeunes. L'organisation des cadets minimise l'importance de cet entraînement.

Plusieurs photos prises pendant l'été 2006, disponibles sur l'Internet, montrent de très jeunes gens posant fièrement avec des armes à feu ou s'exerçant au tir dans le camp de cadets de l'armée à la base militaire de Valcartier, près de Québec. Leur âge n'est pas révélé, mais certains semblent très jeunes.

Sur une des photos, deux filles et un garçon d'une quinzaine d'années tiennent des armes automatiques. Une autre photo montre d'autres jeunes gens en train de tirer debout. Sur une troisième, un garçon est couché en position de tir comme ses camarades: il regarde l'objectif, et n'a manifestement pas plus de 14 ans.

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Les pacifistes soutiennent qu'il s'agit là de nouvelles preuves montrant que les camps d'été des cadets servent à familiariser les jeunes avec l'usage des armes et la discipline militaire, alors que l'armée a lancé sa plus importante campagne de recrutement depuis la guerre de Corée (1950-1953). Le responsable des relations publiques des cadets au Québec, le major Carlo De Ciccio, affirme que les photos ne représentent en rien la routine de ces camps de vacances. Il nie que les camps de cadets servent au recrutement.

Un document intitulé «Programme d'instruction au tir des cadets du Canada» souligne que les exercices de tir avec des carabines de calibre 22 sont offerts aux cadets dès l'âge de 14 ans dans les camps de vacances de l'armée et de la marine. Pendant l'année, ils sont offerts aux cadets âgés de 12 ans, de façon optionnelle, s'il y a «des installations satisfaisant à des normes strictes».

À partir de 15 ans, les cadets peuvent tirer avec des carabines automatiques C7, une version modifiée des M16 américains. Quand elles sont utilisées par les cadets, ces armes sont en mode semi-automatique, a expliqué le major De Ciccio à La Presse.

«Les jeunes peuvent tirer 20 balles, mais un coup à la fois seulement, a-t-il dit. Au moment où les photos ont été prises, ils ne tiraient pas. Les armes n'étaient pas chargées, les jeunes prenaient des photos avec l'arme pour avoir un souvenir. Il y a eu un manque de supervision. Le superviseur aurait dû leur interdire de manipuler les armes de cette façon. C'est une situation qu'on a rectifiée.»

Normand Beaudet, membre du collectif Échec à la guerre et fondateur du Centre de ressources sur la non-violence, a des doutes à ce sujet. «Ce ne sont pas seulement deux ou trois photos qui ont été prises le même jour, dit-il, mais plusieurs, et à différentes occasions.» Les exercices de tir sont le «clou» des camps d'été pour cadets, ajoute-t-il. Il parle en connaissance de cause: lui-même a été cadet pendant cinq ans, puis instructeur pour les cadets.

«Le coeur de l'endoctrinement militaire, c'est d'apprendre à vivre avec les armes dans le quotidien, dit-il. C'est un outil de travail normal. L'arme doit devenir le meilleur ami de l'apprenti soldat. Mais des enfants avec des armes, est-ce normal?»

Des étudiants ont lancé une campagne d'opposition au recrutement militaire. Au cours de l'année, ils ont tenté d'empêcher des représentants des Forces canadiennes d'ouvrir des kiosques dans les cégeps. Depuis le début de l'été, ils se mobilisent contre les camps de cadets qui, selon eux, servent à «endoctriner nos jeunes, et ce dès l'âge de 12 ans».

«Les cadets sont initiés à la routine des soldats tout au long de l'année scolaire, et les camps d'été sont le point culminant de cette activité de propagande, affirment-ils sur leur site. Les contribuables canadiens déboursent près de 200 millions par année pour ces activités jeunesse ayant pour but de laisser l'armée charmer nos enfants.

«Les jeunes enfants-militaires apprendront un nombre important d'habiletés périphériques au rôle de guerrier, ajoutent-ils. Ils portent l'uniforme militaire, sont conditionnés à obéir au doigt et à l'oeil, simulent les missions armées que mènent les véritables soldats, se familiarisent avec une panoplie d'équipements de combat et apprennent même le maniement des armes.»

Des camps gratuits

Le programme des cadets, parrainé et financé par le ministère de la Défense nationale, est le principal programme jeunesse du gouvernement fédéral. Il s'adresse aux jeunes de 12 à 18 ans. On compte 55 000 cadets au Canada, dont 13 500 au Québec. Près de la moitié d'entre eux (6000 au Québec) vont dans un des cinq camps de vacances répartis dans la province. Leurs parents n'ont rien à payer.

Combien de militaires ont d'abord été cadets? Le major Carlo De Ciccio l'ignore. «Nous ne recueillons aucune donnée statistique à ce sujet, dit-il. Notre but n'est pas de faire du recrutement, mais bien de contribuer à la formation des jeunes Canadiens.»

Un indice se trouve toutefois sur la page d'accueil du recrutement des Forces canadiennes. Début juillet, 42% des recrues potentielles disaient faire partie ou avoir fait partie des cadets.

Les organisations de cadets ont pour but «de développer chez les jeunes l'esprit de civisme et les qualités de chef, de promouvoir le conditionnement physique et de stimuler l'intérêt des jeunes pour les activités terrestres, navales et aériennes des Forces canadiennes», indique le manuel de référence de la Ligue des cadets.

Le site gouvernemental de Service Canada souligne que le programme des cadets offre aux jeunes la possibilité «de se familiariser avec les Forces canadiennes, de développer des compétences et d'obtenir des emplois liés au domaine militaire».

Normand Beaudet, du collectif Échec à la guerre, soutient que les camps de cadets servent clairement au recrutement, en offrant beaucoup d'avantages aux jeunes. «Pour les familles qui n'ont pas beaucoup d'argent, c'est la seule façon d'envoyer leurs adolescents à la campagne, dit-il. Ça n'a pas de sens. Pourquoi les principaux camps de vacances gratuits devraient-ils servir à l'endoctrinement militaire?»