Viol et attentat à la pudeur : ce sont deux accusations graves qui viennent d'être portées contre Gilbert Rozon. Pourtant, c'est le cas des 13 autres femmes auxquelles le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a préféré ne pas donner suite qui retient toute l'attention. Et pour cause : la capacité du système à rendre justice aux victimes d'agressions sexuelles est remise en question comme jamais auparavant. Il est temps d'y voir.

Sur 14 cas, pourtant considérés assez solides par la police pour être transmis au DPCP, un seul donnera lieu à des accusations, a-t-on appris hier. Plusieurs des 13 plaignantes dont le dossier a été écarté n'ont pas caché leur colère. Le système de justice ne les a pas seulement déçues : il crée un profond sentiment d'injustice. Il donne l'impression d'en rajouter. Pour ces 13 femmes, et pour toutes les autres qui se demandent en ce moment si elles devraient porter plainte, c'est désastreux.

Le pire, c'est que ce résultat n'est pas vraiment étonnant. Pour porter des accusations, le procureur doit être convaincu de pouvoir en faire la démonstration hors de tout doute raisonnable, a rappelé le DPCP hier. Ça ne veut pas dire qu'il soit infaillible. Le cas récent de ce policier reconnu coupable de conduite dangereuse ayant causé la mort alors que le DPCP avait d'abord fermé le dossier sans accusation, nous en a fourni un exemple éloquent.

Mais il faut admettre que les cas d'agressions sexuelles sont particulièrement difficiles à faire reconnaître par les tribunaux. Et le système, de toute évidence, est de plus en plus conscient du malaise.

La juge en chef du Québec a fait une rare sortie publique hier pour rappeler que les juges sont tenus d'appliquer les lois telles qu'elles ont été adoptées. « Il arrive que le procureur, bien qu'il croie la victime... », a glissé le DPCP dans son communiqué. Traduction : #onvouscroit, mais #onalesmainsliées.

L'affaire Ghomeshi a montré le danger d'envoyer au tribunal des dossiers et des témoins qui ne sont pas assez solides et bien préparés. L'idée n'est donc pas de demander au DPCP de revoir copie, mais de trouver des moyens d'améliorer le système.

« Les corps policiers ont commencé leur examen de conscience, la magistrature et les avocats sont rendus là », résume la professeure Rachel Chagnon du département des sciences juridiques de l'UQAM.

Placés devant la démonstration embarrassante qu'ils rejetaient beaucoup trop de plaintes valides, plusieurs services de police ont revu leurs pratiques et réduit leurs taux de plaintes non fondées. On ne peut cependant pas exiger du système de justice qu'il se réforme par lui-même. Le politique doit s'y intéresser.

L'idée d'un tribunal spécialisé en matière de violences sexuelles et conjugales, qui avait déjà été mise de l'avant par la porte-parole du Parti québécois en matière de justice, Véronique Hivon, mérite d'être explorée. Mais c'est un projet de longue haleine. D'autres questions doivent être étudiées en parallèle.

La préparation des victimes peut certainement être améliorée, mais il faut aussi s'interroger sur celle des juges.

Oui, les propositions de formations obligatoires, évoquées au fédéral et dans certaines provinces, déplaisent à la magistrature. Mais ça ne devrait pas empêcher de s'interroger, non pas sur la sensibilité des juges, mais sur la mise à jour des connaissances par rapport aux victimes d'agressions (effets du traumatisme sur la mémoire, souvenirs incomplets ou contradictoires, etc.)

Et sans remettre en question la présomption d'innocence ni reporter le fardeau de la preuve sur l'accusé, il y aurait lieu de se pencher sur le Code criminel. Y a-t-il des aspects qu'il serait souhaitable de revisiter (à l'égard du consentement, par exemple), et sur lesquels le fédéral devrait être invité à se pencher ?

La ministre québécoise de la Justice, Sonia LeBel, n'a ouvert aucune porte hier. On comprend le souci de défendre le travail du DPCP et de ne pas miner la confiance du public envers le système de justice. Là n'est pas le problème.

L'affaire Rozon ne remet aucunement en question l'intégrité du système. Par contre, elle montre à quel point son fonctionnement peut être frustrant pour les victimes.

Faut-il s'en faire une raison et leur conseiller d'aller voir ailleurs ?

Nous refusons de baisser les bras et de croire que rien, absolument rien, ne puisse être amélioré. Et la ministre de la Justice, qui est également responsable de la Condition féminine et des Relations canadiennes, ne devrait pas s'y résigner non plus.

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