Des consortiums coopératifs regroupant des vétérinaires, des producteurs de jeux vidéo, des électriciens, des entrepreneurs en construction, des ingénieurs, des architectes, des petites fermes agricoles et même des humoristes ! Le modèle coopératif traditionnel est en mutation au Québec.

« On va continuer de voir naître des coopératives de travailleurs, explique Gaston Bédard, PDG du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité. Mais l'avenir de la coopération va passer de plus en plus, à l'avenir, par la création de consortiums regroupant des entrepreneurs prêts à s'investir et à travailler en équipe. »

Il ajoute : « C'est en favorisant des regroupements d'achats, de commercialisation, d'expertise, de ressources professionnelles, qu'on va donner plus de force à nos petites entreprises québécoises, tout en évitant qu'elles ne soient avalées par la concurrence lors d'acquisitions hostiles. »

Gaston Bédard cite avec enthousiasme les « histoires à succès » de quelques consortiums. Parmi ceux-ci, la Guilde des développeurs de jeux vidéo du Québec, « la plus grande coopérative au monde dans son domaine ».

« C'est un exemple, ajoute-t-il. On va voir des consortiums émerger dans le numérique. Il y a des occasions à saisir. Les regroupements sont une option beaucoup plus intéressante que les fusions et acquisitions. »

Dans le secteur agricole, il observe un nouveau « mouvement » qui a donné lieu à la création de 25 fermes coopératives, entre autres dans la production maraîchère biologique. Une quinzaine d'autres fermes vont adhérer au modèle des consortiums en 2019.

Deux autres consortiums se tirent bien d'affaire. Dans la région de Québec, il cite la coopérative de construction Ensemble, regroupant une dizaine d'entrepreneurs ; à Montréal, un groupe d'ingénieurs offre ses services sous l'enseigne ALTE. C'est sans parler de la coopérative d'humoristes Mobilo, créée notamment par Guillaume Wagner.

« Le Québec se démarque avec son modèle coopératif, et les jeunes sont prêts à y adhérer pour créer de nouvelles entreprises. Or, dans nos universités, on n'enseigne pas aux étudiants en finance à développer des modèles d'affaires selon le modèle coop. C'est une lacune qu'il faudra corriger. »

- Gaston Bédard

Pour sa part, Michel Séguin, professeur à l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal, croit lui aussi que le développement des coopératives au Québec est appelé à se faire « autrement ».

« Nos entreprises évoluent dans un environnement très compétitif, fait-il valoir, et il devient nécessaire de trouver de nouveaux moyens pour réaliser des économies d'échelle par des regroupements. »

RÉSISTANCE AU CHANGEMENT

Il déplore toutefois une forme de « résistance au changement » au sein même des coopératives, nuisible, selon lui, à l'avancement de projets de regroupement et de mise en commun des ressources.

« Ça vient souvent, hélas, des administrateurs ! Ces gens-là sont militants. Ils tiennent à la pureté du modèle, aux grands principes. C'est louable. Mais ce faisant, ils ne consacrent pas les efforts nécessaires pour répondre aux besoins communs [des membres et des clients] », constate-t-il.

Michel Séguin estime en outre que le mouvement coopératif, dans son ensemble, a « encore de la misère à se remettre en question et à se réinventer », au moment où il aurait tout intérêt à « prendre les moyens qui s'imposent pour mieux affronter la concurrence ».

« N'oublions pas qu'il y a des enjeux majeurs, rappelle-t-il, et pas uniquement dans les petites coopératives. On le voit avec Agropur, attaquée dans le dossier du lait, et chez Desjardins, qui fait face à des concurrents de plus en plus agressifs. »

Dans le numérique, «les regroupements sont une option beaucoup plus intéressante que les fusions et acquisitions», estime Gaston Bédard. Photo Ivanoh Demers, La Presse