Le voyageur ordinaire ne soupçonne pas toute l'audace et la volonté que doivent déployer ceux qui découvrent le monde malgré des capacités physiques restreintes.

Heureusement qu'André Leclerc a un bon sens de l'humour. Quand il s'est rendu en Espagne pour recevoir un prix de l'Organisation mondiale du tourisme pour ses années d'efforts à promouvoir le développement du tourisme accessible aux personnes à capacités restreintes, l'hôtel qu'on lui avait réservé était si mal adapté qu'il ne pouvait même pas entrer dans la salle de bains avec son fauteuil roulant! Pas plus que dans l'autobus qui, le lendemain, devait permettre à la délégation de visiter un petit village de l'arrière-pays. Il a ri de l'absurdité de la situation. Même s'il a dû rester derrière, déçu, une fois de plus.

André Leclerc a l'habitude d'être laissé en plan au Québec aussi. Le principe d'accessibilité est peu encadré légalement et repose surtout sur la responsabilité citoyenne, confirme-t-on d'emblée à l'Office des personnes handicapées du Québec. «Tout le monde est d'accord sur le principe, observe André Leclerc. Mais entre les voeux et les actions, il y a un monde.»

Le ministère du Tourisme s'en remet essentiellement à l'organisme Kéroul, fondé par André Leclerc pour suivre la situation et promouvoir l'accessibilité par la «Route accessible» (www.larouteaccessible.com), qui répertorie les lieux touristiques du Québec adaptés et sûrs pour tous. Kéroul n'a toutefois aucun pouvoir coercitif.

Que dit la loi?

Certes, la Régie du bâtiment veille bien à ce que les hôtels construits ou ayant fait l'objet de rénovations majeures après 2000 fassent en sorte que 10% de leurs chambres soient entièrement accessibles aux personnes en fauteuil roulant, c'est-à-dire de la rue jusqu'à la douche, mais l'infraction doit être décelée dans les cinq années suivant la construction, sinon aucune sanction ne peut être appliquée.

Pour les constructions plus anciennes, c'est la loi en vigueur au moment de la construction qui s'applique Les premières règles d'accessibilité n'ont été adoptées au Québec qu'en 1986.

Une enquête menée en 1999 par Kéroul a calculé qu'environ 16% des établissements hôteliers du Québec étaient partiellement ou totalement accessibles. Les options sont limitées et souvent plus chères que la moyenne.

Pourtant, mine de rien, 15% de la population aurait des capacités physiques restreintes et nécessiterait des services adaptés, soit 800 000 Québécois.

Un marché à prendre

«Rendre les sites touristiques accessibles, ce n'est pas seulement une question d'équité, mais aussi d'économie», argue André Leclerc.

Le Québec pourrait en profiter pour accroître son potentiel d'attraction, notamment aux États-Unis, où 39 millions d'Américains ayant une incapacité ont les moyens physiques et financiers de voyager, estime la Society for the Advancement of Travelers.

Dans les transports, le travail à faire est immense, mais le cas des restaurants frustre encore davantage André Leclerc. Il y en a 10 000 au Québec, pour lesquels les normes sont sensiblement les mêmes que pour les hôtels: tout ce qui a été construit à l'époque où les normes était plus laxistes ou n'a pas fait l'objet de rénovations majeures depuis 2000 est susceptible d'avoir des toilettes trop petites, des marches devant l'entrée...

Et pour une sortie?

Les choses se présentent mieux dans les musées et les salles de spectacle du Québec. Entre 2008 et 2011, Kéroul a évalué 118 musées et 145 salles de spectacle du Québec, dont près des trois quarts étaient accessibles ou partiellement accessibles.