C'était peut-être vous, votre voisin de gauche à l'allure un peu coincée ou celui de droite, une mère accompagnée de ses enfants. Mais il y avait presque certainement un passager angoissé assis dans votre rangée la dernière fois que vous avez pris l'avion. La peur de voler frappe à tout âge, les hommes comme les femmes. Les grands voyageurs comme les plus petits, plus souvent qu'on ne le pense. Certains en souffrent au point de se priver de voir leur famille, de ne pas assouvir leurs rêves d'enfance, de mêler alcool et médicaments... Il existe pourtant des solutions.

Chantal Peltier a raté de belles vacances dans le Sud l'année dernière. Loin de sa famille qui s'est envolée pour Walt Disney, puis en croisière dans les Caraïbes pendant qu'elle restait seule à Montréal pour Noël, dans le froid et la neige. On imagine sans peine la joie qu'elle aurait eue d'y aller. La tristesse qu'elle a éprouvée de ne pas y aller. Sauf que...

Sauf que pour suivre sa tribu, Chantal Peltier aurait dû accepter de prendre l'avion entre Montréal et Orlando. Impossible. Impensable. Chantal Peltier est paralysée à la seule idée de prendre l'avion. « Je me prive de très beaux moments en famille et avec des amis, mais ma crainte est plus forte que tout. Je ne peux pas la surmonter, confie-t-elle. J'ai peur de ne pas pouvoir sortir si je ne file pas, peur de ce qui peut arriver quand on est au-dessus de l'eau, peur qu'on s'écrase, que l'avion ait un problème [...]. Cette peur est plus forte que l'envie de voyager. « Un cas extrême? Pas du tout. Selon divers coups de sonde menés aux États-Unis et en Europe, de 10 à 30 % de la population serait angoissée, à des degrés très divers, à la simple idée de quitter le plancher des vaches.

Madeleine Viau, après une jeunesse à bambocher aux quatre coins du globe, a changé du tout au tout après 30 ans est s'est achetée un véhicule récréatif pour sillonner l'Amérique, quand l'angoisse de se déplacer au-dessus des nuages est devenue trop forte.

Alexandre Dubert-Larsonneur, lui, s'est privé pendant cinq ans de retourner voir sa famille en France, terrorisé à l'idée de six heures dans un oiseau de métal au-dessus de l'océan Atlantique. Il lui est parfois arrivé d'éprouver des malaises trois semaines avant un départ. « En vol, je manque d'air, je ne suis pas bien, mon c_ur bas trop fort, ma sudation est démultipliée, je respire mal. Je suis assez insupportable pour ceux qui m'entourent «, confie-t-il.

Sournoise, l'angoisse s'installe souvent lentement sans crier gare, s'instillant de vol en vol, d'une année à l'autre, avant de se transformer en phobie et de clouer au sol sa proie. Rarement suit-elle un vol cauchemardesque, un atterrissage forcé.

Une vieille peur

Consciemment ou non, pour ces gens, prendre l'avion réveille une peur bien plus vieille que le premier vol : celle de mourir. « L'être humain n'est pas fait pour voler, alors il réagit à cette situation anormale et se met en état de vigilance. On perçoit comme une menace le fait d'être en hauteur, d'être dans un espace très restreint dont on ne peut pas sortir, nos sens sont alertés par des bruits et des odeurs inhabituels «, explique Camillo Zacchia, spécialiste des comportements anxieux de l'Institut universitaire en santé mentale Douglas.

C'est ainsi que plusieurs personnes qui craignent de prendre l'avion s'avouent aussi un peu claustrophobes. « Je déteste aussi prendre le métro et j'évite les ascenseurs dans les tours à bureaux «, confie Sophie.

D'autres n'aiment pas la sensation de ne pas avoir le contrôle. « J'ai beau me dire que le pilote est plus expérimenté que moi et que ça ne servirait à rien si j'étais aux commandes : je n'aime pas ne pas avoir le contrôle. Comme je n'aime pas quand je suis dans ma voiture et que mon chum conduit pour moi «, note Marie-Julie Paradis.

Pour d'autres, c'est la crainte d'un pépin technique qui l'emporte. Alexandre Dubert-Larsonneur refuse de s'envoler sur les ailes d'un certain transporteur respectant pourtant toutes les normes internationales car « ses avions sont vieux, ils se déglinguent. Ce n'est pas rassurant. «

L'angoisse devient problème lorsqu'on ne parvient pas à raisonner de manière plus rationnelle et à assimiler qu'on court davantage de risques en prenant sa voiture pour aller faire l'épicerie qu'en allant à Paris dans un Boeing ou un Airbus.

L'inconfort s'installe, chaque vol devient de plus en plus désagréable.

« Dès qu'on décolle, s'il y a des turbulences, j'ai chaud, je pleure, je crie le nom de mon chum... Je ne veux plus revivre ça «, dit Marie-Julie Paradis.

« Rien que d'en parler, j'ai l'estomac tout à l'envers. J'ai les «shakes» dès que je prends mon auto pour aller à Dorval, raconte Dominique Fortier. Puis au moment du décollage, je veux mourir tellement j'ai peur... Je deviens soudain très très catholique et je récite bien mon chapelet! «

« Pour faire passer ma peur, je parle sans arrêt avec les gens autour de moi. Ils ne peuvent pas dormir parce que je n'arrête pas de leur poser des questions et de leur raconter des histoires «, relève Mme Fortier. On comprend qu'un voisin de 11 ans lui ait demandé de but en blanc si elle avait peur : « J'étais littéralement agrippée à son bras! « Un autre lui a déjà offert un verre de vin : « vous semblez en avoir besoin «. L'alcool, il est vrai, est souvent appelé à la rescousse pour calmer les esprits : ne cherchez pas pourquoi il y a toujours un bar dans les aires d'attente des aéroports et l'on vend de la bière en vol.

Les médicaments sont aussi régulièrement utilisés pour apaiser l'anxiété.

Faire face à sa peur

Mais tous ces trucs ne règlent pas le bobo, qui risque d'empirer, alors que des solutions existent bel et bien. La psychologue Andrée Letarte, qui travaille au programme des troubles anxieux de l'hôpital Louis-H. Lafontaine, explique qu'il est de la plus haute importance de faire un exercice de réinterprétation de ses sentiments après chaque vol, pour corriger ses fausses perceptions et rester sur une note positive. Par exemple, si on s'est senti angoissé pendant le vol parce qu'il y a eu un peu de turbulence, au lieu de rester avec l'impression « Ouf! On ne s'est pas écrasé cette fois «, mieux vaut se dire que le vol s'est bien passé, et qu'on était bel et bien en sécurité. Écouter de la musique pour se relaxer peut aider, mais il ne faut pas s'en servir pour fuir la réalité. « On peut surmonter une peur en s'obligeant à y faire face «, dit-elle.

Une aide psychologique est essentielle lorsque le patient souffre d'une phobie, c'est-à-dire si la peur est devenue si grande qu'on a besoin, avant chaque vol, de consommer médicaments ou alcool, si les symptômes physiques (palpitations, sueurs, inconfort) sont très importants, ou si l'on a mis une croix complète sur tout déplacement en avion.

« Tout le monde n'est pas obligé de prendre l'avion pour vivre, reconnaît Andrée Letarte. Mais quelqu'un qui a toujours voulu voyager ne devrait pas s'empêcher de le faire parce qu'il a peur de l'avion. »

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Une application pour calmer sa peur



« Vous avez peur? Vous pensez que vous êtes en danger? [...] Rappelez-vous que quoi que vous pensiez ou que vous fassiez, vous n'aurez aucun effet sur la source du danger. »

Parce qu'il n'est pas toujours facile d'affronter sa peur seul, il est maintenant possible de télécharger une application sur son iPad ou son iPhone conçue pour accompagner les voyageurs anxieux tout au long du voyage. Conçue par une équipe de psychologues spécialisés dans le traitement de la peur de voler, l'application inclut quelques exercices de respirations favorisant la détente, des conseils avant le départ, pendant le décollage et en vol, et des statistiques rappelant notamment qu'il est nettement moins dangereux de circuler en avion qu'en voiture. Et en cas de crise, on peut même appuyer sur le bouton « Panique », et entendre les propos rassurants d'un psychologue (l'application se télécharge avant le vol, et fonctionne sans connexion internet ensuite). Efficace ? Si notre peur est faible à modérée, ça vaut la peine de l'essayer. Sinon, mieux vaut consulter directement un psychologue.

Fear of Flying App, 3,99$. En anglais seulement.