Le Québec flirte avec le plein emploi, ce qui se traduit par une pénurie de main-d'oeuvre dans les hôtels. Au point où certains établissements doivent fermer partiellement. En subirez-vous les conséquences lors de votre prochaine escapade dans Charlevoix ou les Laurentides? Tour d'horizon.

Des avantages à faire valoir

L'industrie hôtelière peine à recruter du personnel. D'ici 2035, le Conference Board du Canada prévoit que 10,9 % des postes en hébergement au Québec ne seront pas pourvus. Et les conséquences de cette pénurie se font déjà sentir. Des étages fermés, des heures d'ouverture plus restreintes pour les restaurants, des employés qui multiplient les heures supplémentaires et des services effectués en sous-traitance, voilà la nouvelle réalité de plusieurs établissements de la province.

Au cours des deux dernières années, Carole Bouffard, directrice générale de La Saguenéenne, à Saguenay, a perdu cinq préposées aux chambres. Elles sont toutes parties à la retraite. Et elle peine à les remplacer. Puis, l'été dernier, Mme Bouffard s'est résignée à faire appel à une buanderie externe afin que ses employés qui s'acquittent généralement de cette tâche puissent travailler à l'entretien ménager, là où la pénurie de personnel est la plus criante.

Mme Bouffard n'est pas la seule à se retrouver face à un tel casse-tête. Selon une étude effectuée par l'Association hôtellerie Québec (AHQ) auprès de ses membres en 2016, les postes en cuisine, à la réception et à l'entretien des chambres sont particulièrement difficiles à pourvoir.

Une réalité que connaît bien Louise Jobin, qui travaille depuis 32 ans à l'hôtel Hilton de Québec. «Les patrons ne réussissent pas à trouver du monde qui veut travailler», raconte celle qui a occupé un poste de préposée aux chambres pendant plus de 30 ans et qui s'occupe désormais de l'entretien ménager des aires communes.

«Les gens ne pensent pas à aller travailler dans l'hôtellerie. C'est du 7 jours sur 7. On ne ferme pas à Noël ni à la Saint-Valentin».

Mme Jobin admet aussi que son travail est «physiquement difficile». «C'est dur pour le dos, c'est dur pour les genoux. Il faut marcher beaucoup.»

Ces raisons expliqueraient-elles pourquoi plusieurs tournent le dos à l'hôtellerie? «Oui, il y a des horaires atypiques, concède Carole Bouffard, mais on n'est pas les seuls.»

Valorisation

Pour Xavier Gret, directeur général de l'AHQ, on a trop longtemps dévalorisé les métiers de l'hôtellerie.

«Il y a encore ce côté péjoratif, admettait M. Gret, à l'issue d'un congrès tenu en décembre où l'on tentait notamment de trouver des solutions pour limiter les dégâts. Et pourtant, il y a d'excellentes conditions d'emploi. Les femmes de chambre ont des salaires vraiment décents, souligne-t-il. Quand on travaille pour une grosse enseigne, l'emploi permet de voyager dans le monde.»

«Je veux vraiment qu'on mette l'emphase pour dire que c'est un beau métier. On veut que les femmes de chambre soient reconnues», indique Xavier Gret, directeur général de l'AHQ.

À ce chapitre, les patrons de Louise Jobin ont remporté leur pari. Celle-ci assure en effet sentir que ses supérieurs reconnaissent son travail et celui de ses pairs. Régulièrement, des récompenses sont données aux préposées aux chambres qui reçoivent les meilleurs commentaires de la part des clients, cite-t-elle en exemple.

Et ceux qui travaillent dans le domaine depuis longtemps n'hésitent pas à parler des avantages du métier. Michel Paré, âgé de 59 ans, ne changerait d'emploi pour rien au monde. L'homme qui travaille dans l'hôtellerie depuis 1979 est actuellement réceptionniste à l'Hôtel Bonaventure, à Montréal.

«J'ai toujours travaillé à la réception [des hôtels], dit-il. Nous, on est syndiqués, c'est une dynamique différente. On a un salaire décent, une assurance collective.»

Mme Jobin estime elle aussi avoir de belles conditions de travail à Québec. Salaire intéressant, repas et uniformes, semaines de vacances, possibilités d'avancement, occasions de voyager dans le monde dans d'autres hôtels Hilton sont autant d'éléments qu'elle énumère pour vanter les mérites de son emploi.

Mais, au-delà de la valorisation du métier et des conditions de travail qui se sont grandement améliorées au cours des décennies: «Il va falloir changer nos façons de faire, lance sans détour Carole Bouffard. Il va falloir être plus flexibles dans nos horaires, être plus accommodants. Je n'appréhende pas 2018, mentionne-t-elle, mais 2019 et 2020, on ne sait pas trop.»

«Les jeunes recherchent une qualité de vie, ajoute Louise Jobin. Nous, on prenait ce qui passait. Maintenant, on veut travailler du lundi au vendredi de 8 à 4. D'ici 10 ans, tout le monde va partir à la retraite, souligne-t-elle. Il va falloir les accommoder, ces jeunes-là.»

L'industrie tente également de séduire les nouveaux arrivants et les retraités, avance Mme Bouffard. Reste à voir s'ils répondront à l'appel.

Photo Pascal Ratthé, collaboration spéciale

Louise Jobin travaille depuis 32 ans à l'hôtel Hilton de Québec. Elle s'ocupe de l'entretien ménager des aires communes.

Aménager le calendrier scolaire?

L'été s'étire souvent jusqu'à tard en septembre et parfois même jusqu'en octobre, alors que plusieurs étudiants retournent sur les bancs d'école à la mi-août. Résultat: les hôtels sont remplis de vacanciers, mais le nombre d'employés chute considérablement.

«Les vacances sont décalées, souligne Karine Lebrun, directrice des ressources humaines pour le groupe Riotel, qui possède trois établissements en Gaspésie. Les retraités et les Européens prennent leurs vacances en septembre. Avant, le gros boom, c'était pendant les deux dernières semaines de juillet et les deux premières d'août.»

Résultat, après la fête du Travail, l'industrie touristique souffre d'une pénurie de main-d'oeuvre. Depuis des années, ils sont nombreux à demander des changements au calendrier scolaire.

Le Collège Mérici, à Québec, a ainsi décidé de s'ajuster aux besoins de l'industrie. Pour la première fois, au cours de la session d'automne 2017, l'établissement d'enseignement privé n'a pas mis de cours à l'horaire le vendredi après-midi pour ses élèves de deuxième et troisième année en tourisme, en gestion hôtelière et en gestion de la restauration. «Ça vient résoudre beaucoup de conflits», mentionne Pierre Richard, directeur des études au Collège Mérici. Il ne cache pas que, par le passé, plusieurs élèves choisissaient d'aller travailler plutôt que de se présenter en classe. Certains abandonnaient même leurs cours.

«Dans l'industrie, ça fait longtemps qu'on souhaite qu'ils [les élèves] soient disponibles les jeudis, les vendredis et jusqu'à la fête du Travail».

Le Collège n'a pas l'intention d'en rester là. L'établissement étudie actuellement la possibilité de permettre à ses élèves de deuxième et troisième année en gestion de la restauration de repousser leur rentrée scolaire après la fête du Travail. Cette mesure toucherait environ 75 élèves.

«Ce n'est pas impensable de faire ça, assure M. Richard. Ça prend un collège où les enseignants sont prêts à remettre en cause les façons de faire traditionnelles. Ce n'est pas juste une façon d'accommoder l'industrie. L'élève d'aujourd'hui est déchiré [entre son travail et ses études].»

Photo Martin Chamberland, La Presse

Les postes en cuisine, à la réception et à l'entretien des chambres sont particulièrement difficiles à pourvoir dans le domaine hôtelier au Québec.

Maraudage interdit

Du côté de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ), la directrice générale Liza Frulla se dit elle aussi consciente du dilemme que vivent plusieurs de ses élèves qui se font offrir des emplois avant même d'avoir terminé leur scolarité.

«Il faut se battre pour qu'ils finissent, pour qu'ils aient un diplôme.»

Mme Frulla souligne même que, pendant les stages, les employeurs doivent s'engager à ne pas faire de maraudage pour tenter de retenir leurs apprentis.

En ce qui concerne les modifications au calendrier scolaire, elle reconnaît qu'il y a beaucoup de pression à ce chapitre. L'ITHQ tente aussi de s'ajuster, assure-t-elle. Il arrive parfois que des élèves reviennent de stages en octobre et qu'ils puissent immédiatement attaquer leur session.

Mais les directeurs d'hôtels qui rêvent du jour où les élèves du cégep regagneront les salles de classe en même temps que l'apparition des couleurs dans les arbres devront être patients. L'élaboration d'un nouveau calendrier touchant l'ensemble des établissements collégiaux ne semble pas être pour demain.

«Ce n'est pas si simple, répond d'emblée Judith Laurier, directrice des communications de la Fédération des cégeps. On est conscient de ça et ce n'est pas de la mauvaise foi de notre part.» 

Or, les cégeps doivent se soumettre à la Loi sur les collèges d'enseignement général et professionnel, qui demande aux établissements de dispenser 82 jours de cours consécutifs. Une session d'automne retardée obligerait élèves et enseignants à se rendre en classe pendant le congé des Fêtes... Un changement qui ne ferait sans doute pas l'affaire de tous.

Du côté du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, il a été impossible de savoir si des modifications au calendrier ou encore des changements à la loi sont possibles au cours des prochaines années. «Par ailleurs, le règlement permet au collège, exceptionnellement, au regard d'un programme d'étude qui requiert l'application de modalités pédagogiques particulières, d'organiser une session qui comporte moins de 82 jours, souligne en revanche, par courriel, Brian St-Louis, porte-parole au Ministère. Toutefois, les conditions au programme prescrites par le Ministère doivent être respectées.»

Photo Martin Chamberland, La Presse

Michel Paré, réceptionniste à l'Hôtel Bonaventure, à Montréal, travaille dans l'hôtellerie depuis 1979.