Avec plus de 800 000 visiteurs par an, le Machu Picchu est le site archéologique le plus visité d'Amérique latine. L'ennui, c'est que mis à part les 8000 habitants de la petite ville d'Agua Calientes, porte d'entrée de la cité inca, les habitants de la vallée de l'Urubamba profitent peu, voire pas du tout, des retombées que génère l'afflux de touristes qui arrivent de Cusco en train. La multinationale québécoise Transat soutient financièrement une ONG de Sherbrooke - Carrefour de solidarités internationales - qui s'efforce de corriger cette situation.

L'ONG orchestre un projet d'itinéraire parallèle au train - la «Route du thé, du café, du cacao et des coopératives» - qui amènera les voyageurs à traverser les villages de la vallée de l'Urubamba, où ils auront l'occasion d'entrer en contact avec la population. Le projet prévoit notamment la restauration de deux haciendas du XVIe siècle, qui seront converties en gîte touristique. Ce qui fournira des emplois à la main-d'oeuvre locale.

 

Pourquoi une multinationale comme Transat, qui achemine des centaines de milliers de vacanciers canadiens dans les destinations soleil et en Europe, soutient-elle une ONG qui s'efforce de répartir la manne touristique plus équitablement? «Nous nous sommes engagés dans une démarche de tourisme responsable en 2006, notamment parce que nous anticipions que la clientèle, qui commençait à s'éveiller aux notions de tourisme durable, allait exercer des pressions en ce sens», répond Lina de Cesare, cofondatrice de Transat et présidente du Comité de direction du tourisme durable créé au sein de l'entreprise.

«Mais c'est aussi parce que nous éprouvons un sentiment de responsabilité, poursuit-elle. Ainsi, je ne comprends pas que des grandes entreprises comme Apple ou IBM, qui fabriquent des ordinateurs par millions, ne se préoccupent pas de les récupérer et de les recycler lorsqu'ils arrivent en fin de vie. Nous considérons qu'en tant qu'entreprise envoyant chaque année des centaines de milliers de personnes dans les pays en voie de développement, nous assumons une responsabilité sociale.»

Angélisme? Lina de Cesare observe que l'engagement de l'entreprise relève aussi de l'intérêt bien compris. «Si un grand producteur de touristes comme nous ne se soucie pas de préserver l'environnement et le climat social dans les destinations qu'il dessert, il n'y aura bientôt plus de destinations. Nous avons non seulement le devoir moral de minimiser les impacts négatifs engendrés par les touristes que nous y acheminons, mais nous avons aussi tout intérêt à ce que les destinations que nous commercialisons ne se dégradent pas.»

Beaucoup de projets

En 2008, la multinationale québécoise a déboursé 1,8 million de dollars pour soutenir une série d'initiatives de tourisme durable ou «responsable». La liste des projets est longue. En Tunisie, elle appuie l'Association pour le développement durable, qui construit des gîtes ruraux, aide les artisans locaux à monter des ateliers, et aménage des sentiers de randonnée dans la région de Médenine. «L'idée est de créer des emplois dans l'arrière-pays et pas seulement le long des plages, dit Lina de Cesare. Nous allons désormais travailler pour faire en sorte que les destinations bénéficient d'un maximum de retombées. Ainsi, nous avons commencé à embaucher des représentants locaux, pour s'occuper de nos voyageurs, plutôt que d'envoyer des Canadiens. Ce n'est pas évident, car, en plus de la langue locale, ils doivent parler français et anglais. Mais nous faisons des efforts dans ce sens.»

À la Riviera Maya, où elle envoie 250 000 voyageurs chaque année, Transat s'est associée à l'organisme Rainforest Alliance, qui, en collaboration avec un partenaire local, MARTI (acronyme de Mesoamerican Reef Tourism Initiative), a mis en place des programmes de formation et de soutien technique aux hôteliers. «L'idée est de les amener à adopter de meilleures pratiques environnementales et sociales, explique Lina de Cesare. On s'attaque à la gestion des eaux usées et des déchets, mais on traite également de l'exploitation sexuelle des enfants.»

Transat n'est pas la seule grande entreprise de l'industrie du voyage à manifester un souci de responsabilité sociale. Elle est membre de la Tour Operators Initiative for Sustainable Tourism Development (TOI), regroupement de grands voyagistes mondiaux engagé dans des actions de ce type. Parmi les membres figurent des multinationales comme l'allemande TUI, la suisse Kuoni ou le groupe Accor, qui font tous voyager plusieurs millions de touristes chaque année. C'est d'ailleurs le vice-président affaires publiques de Transat, Michel Lemay, qui agit à titre de vice-président de cet organisme international.

Conditions de travail

La plupart des projets que ces voyagistes soutiennent financièrement portent sur la protection de l'environnement ou sur une meilleure répartition des retombées économiques. Mais les voyagistes occidentaux ne vont pas jusqu'à inciter leurs partenaires hôteliers des pays en voie de développement à améliorer les conditions salariales de leurs propres employés. «Nous ne pouvons pas exiger un droit de regard sur le rôle de paie des hôteliers, admet Lina de Cesare. Mais nous attirons leur attention sur le fait que si les employés sont mal rémunérés, cela aura des répercussions directes sur le service. Seuls les employés satisfaits de leurs conditions de travail se démènent pour assurer un bon service.»

La cofondatrice de Transat remarque que, même s'il est animé des meilleures intentions de monde, un voyagiste ne peut pas tout révolutionner du jour au lendemain. «Le passage d'un tourisme traditionnel à un tourisme durable et équitable implique un changement de mentalités, dit-elle. Et cela, ça prend du temps. «