Pour les Japonais, le Montréal souterrain est une ville sous dôme. Pour les Américains, c'est un abri en cas d'attaque nucléaire. Pour les Montréalais, ça représente 30 km de couloirs souterrains et d'ennui. Si la ville intérieure passionne autant les étrangers, pourquoi ce rêve des années 60 suscite si peu l'enthousiasme des Montréalais d'aujourd'hui? Le journaliste Fabien Deglise a décidé de plonger dans le ventre de Montréal pour comprendre le mythe de cette ville intérieure.

Loin du guide touristique, ce livre, baptisé Montréal souterrain, sous le béton, le mythe, se veut une analyse critique de cette patente montréalaise, qui fut à une époque, croyez-le ou non, une source de fierté pour les Montréalais. «Dans les années 1960, la ville intérieure allait permettre à Montréal d'accéder au statut de métropole du XXIe siècle», affirme l'auteur en entrevue téléphonique, qui est journaliste au quotidien Le Devoir depuis 2001.

 

Or, ce projet vaste et audacieux n'a jamais livré la marchandise. Lors de la construction de la Place Ville-Marie, qui marque le début de sa construction, les planificateurs urbains imaginent alors une ville dans la ville, où les gens allaient vivre sous terre à l'abri des intempéries. «Les corridors deviendraient des rues piétonnes et porteraient un nom, comme les rues à la surface. Ils déboucheraient sur des places publiques qui serviraient de lieu de rassemblement», explique l'auteur.

Retour à Leonard de Vinci

Sauf que cette ville intérieure, dont le concept provient de Léonard de Vinci (hé oui!), a été développée de façon complètement anarchique. Il en résulte une enfilade de corridors sans âme, dont la principale fonction sert de lieu de déplacement entre les différents attraits et bureaux de Montréal. Un échangeur Turcot pour les piétons, autrement dit.

«Ce qui est fascinant, c'est que l'histoire de la ville souterraine est intimement liée à l'histoire du Québec moderne. À la fin de la Grande Noirceur, c'est l'ère des utopies et des grands projets. Dans les années 70, le rêve se poursuit, mais il devient nationaliste, puis après le référendum de 1980, c'est la désillusion. Les sièges sociaux et leurs capitaux quittent Montréal. Le rêve de la ville souterraine reçoit son coup de grâce», dit-il.

Pourtant, le Montréal souterrain inspire encore. Outre les touristes qui s'émerveillent de la chose, d'autres villes, comme Moscou et même Toronto, construisent présentement leur ville intérieure. «D'ici quelques années, ces villes pourraient même ravir le titre de plus grande ville souterraine au monde à Montréal», a constaté le journaliste en effectuant ses recherches.

À moins que le projet de ville intérieure reprenne vie. L'auteur croit qu'on assistera à sa renaissance. «Avec l'accroissement de population que connaît Montréal, les urbanistes pensent que nous n'aurons plus le choix de densifier le centre-ville de Montréal, dont le mont Royal bloque l'agrandissement. La solution passerait par le développement de la ville souterraine», affirme-t-il.

Le Montréal souterrain demeurera-t-il une simple attraction touristique en voie de folklorisation ou renaîtra-t-il de ses cendres? À suivre.

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Montréal souterrain : sous le béton, le mythe, Fabien Deglise, Éditions Héliotrope, 172 pages, 21,95 $