Dans le nord de la Mongolie, à la frontière de la Russie, dans la taïga, les Tsaatan élèvent des rennes. C'est un peuple retiré de la civilisation.

Entre les herbes rases et les fleurs multicolores, nous surprenons plusieurs marmottes qui courent paisiblement à l'ombre des arbres et se faufilent dans leurs trous. À cheval, avec nos neuf enfants, nous montons en altitude et quittons la piste. En montagne, nos bêtes peinent dans le sentier abrupt. Parfois, nous devons marcher pour leur faciliter la tâche. Tout à coup, un de nos chevaux dégringole. Il glisse. Il se rattrape et exécute des pas de côté pour essayer de reprendre son équilibre. Sa cavalière n'en mène pas large non plus. Finalement restée en selle, elle se remet de ses émotions.

Troncs d'arbre à franchir, branches à éviter: le niveau de difficulté augmente. Marc-Antoine, 7 ans, sur son étalon Petit Lutin, prend ses rênes. Plus question de le tenir en laisse, c'est trop dangereux. Fier, il se dirige aisément à travers toutes les embûches. Nous faisons confiance à notre monture. Les conifères se font de plus en plus rares et sont remplacés par des buissons et des lichens. Au sommet, nous apercevons une vingtaine de tentes dans la taïga. Seuls les bruits des sabots et quelques hennissements viennent troubler par intervalles ce moment magique. Un vent frais souffle. Nous y rêvons depuis plusieurs jours. Nous arrivons enfin chez les éleveurs de rennes.

Pas plus de 20 familles composent ce clan. Ils vivent dans des tipis semblables aux habitations traditionnelles des Amérindiens. Ils dépendent presque entièrement de leurs troupeaux. Nous descendons de nos montures un peu à l'écart du village. À pied, nous marchons jusqu'à eux. Un homme vient vers nous et nous invite dans sa demeure. Il nous propose immédiatement de nous asseoir au sol. À l'intérieur, un lit servant de siège, quelques bidons de lait et des chaudrons traînent dans un coin. Au centre, comme dans les yourtes, se trouve un poêle. Sa cheminée fume à l'extérieur. Il glisse quelques mots en mongol à sa femme, qui s'empresse ensuite d'aller traire quelques femelles. Elle nous prépare un thé au lait de renne bien frais. Les fromages et quelques lambeaux de viande attachés à l'armature du tipi sèchent. Ils attendent preneur. Leur harde leur sert de source de nourriture et de monnaie d'échange. Animiste, leur groupe compte un chaman.

Nous retournons à notre campement. Le lendemain, nos jeunes troquent leurs montures contre celles du père Noël. Sellés, les rennes ne se dirigent pas avec une bride et un mors, mais avec un bâton. Avant de les quitter, nous achetons quelques fromages et de la viande pour les prochains jours.

Nous retrouvons la steppe. Ivres de liberté, soûlés par l'air pur, nos chevaux accélèrent le pas. Je sens Santa Claus, mon hongre, fébrile. La jument de Marie-Pierre (16 ans), Juliette, et le hongre de Charles (12 ans), Cookie, partent au galop, au grand bonheur de leurs cavaliers. Je reprends en main la laisse de Petit Lutin. Nous longeons l'un des huit lacs du Nombril, dans le nord du pays. Une cinquantaine de cygnes migrateurs y nagent paisiblement. Leur chant se libère et s'envole, triomphant, jusqu'au bleu du ciel. Nous campons tout près.

Nous avons du temps.

Personne ne peut nous en donner, et encore moins nous en vendre. Dans les moments où la peur d'en manquer se fera sentir, nous nous souviendrons que prendre du temps est le seul moyen d'en avoir. À nous d'en profiter!