Des voyageurs intrépides nous racontent leurs histoires. Elles sont parfois rocambolesques et même difficiles à croire.  Parfois, aussi, leurs aventures ont surtout d'extraordinaire qu'elles les ont menés plus loin. Dans tous les sens du terme.

Qui ?

Mario Crête, papa et conteur d'histoires rocambolesques.

Quoi ?

Un séjour en Amérique du Sud en 1980, sans argent, mais avec une guitare.

Il y a quelques années, mes filles, alors âgées de 6 et 8 ans, m'ont demandé de leur raconter une anecdote de voyage. Elles savaient que dans ma jeunesse, j'avais eu la chance de faire plusieurs voyages et de vivre quelques expériences inusitées.

Je leur ai alors raconté une aventure qui m'est arrivée en 1980, au Pérou. Je revenais d'un séjour d'un mois en Bolivie. Le pays avait subi un coup d'État et la population vivait sous un régime militaire très violent. J'étais content d'être au Pérou après avoir vécu le couvre-feu et les checkpoints continuels de militaires agressi fs et analphabètes. Ils commençaient par me demander mon passeport, puis, après l'avoir consulté à l'envers, me demandent de quel pays j'étais.

Je devais traverser le Pérou pour me rendre en Équateur, à Guayaquil, pour prendre mon avion de retour vers Montréal.

Je n'avais presque plus d'argent, mais un mandat bancaire international m'attendait à l'ambassade du Canada, à Lima. À cette époque, les cartes de crédit ou de débit ne faisaient pas encore partie du quotidien des voyageurs...

Manque de pot, il y a une grève générale des banques au Pérou. Pas moyen d'encaisser le mandat. Le personnel de l'ambassade ne m'est d'aucun secours : eux-mêmes ne peuvent encaisser leurs chèques de paie !

Je suis à plus de 1000 km de Guayaquil, quelques dollars en poche, nettement pas assez pour pouvoir sortir du pays.

Je me trouve donc un hôtel minable, le moins cher possible, et commence à faire le tour des marchés de Lima pour vendre ce que je peux afin de ramasser assez d'argent pour prendre un bus jusqu'en Équateur.

Pendant trois jours, j 'ai récolté juste assez pour payer mon hôtel et de maigres repas.

J'avais vraiment l'air d'un marchand ambulant qui tente de refiler sa camelote : vêtements usagés, petite monnaie canadienne, babioles...

Je croise alors par hasard un Français rencontré un mois plus tôt au sud du Pérou, près du lac Titicaca. Il joue de la flûte des Andes et il se trouve que je traîne avec moi un charango, petite guitare indienne qui m'a été confiée par un ami bolivien pour rapporter à un parent au Québec.

Mon copain étant aussi coincé financièrement que moi, nous décidons de faire la tournée des terrasses du chic quartier Miraflores pour jouer de la musique et passer le chapeau.

Un jour, un colonel de l'armée péruvienne nous entend jouer. Il est charmé de voir des étrangers jouant ainsi la musique de son pays et déborde tellement d'enthousiasme qu'il nous emmène à son club privé afin de nous présenter à ses collègues. Nous le suivons, alléchés par la possibilité d'un chapeau beaucoup plus lucratif dans un tel endroit

Effectivement, l'expérience s'avère rentable : après avoir joué, nous sommes nourris, abreuvés de bière et le colonel passe même le chapeau pour nous. Enfin, j'ai juste assez de sous en poche pour quitter le pays.

Un bus local jusqu'à la frontière et me voici donc prêt à traverser en Équateur. Mais il y a là un douanier peu scrupuleux qui refuse d'étamper mon passeport et de me laisser sortir du pays sans d'abord se graisser la patte au passage. Il exige deux dollars américains en échange de l'autorisation de quitter le pays. En temps normal, je n'aurais pas trop rouspété.

J'aurais probablement négocié pour 1$... Mais là, j'ai vraiment besoin de chaque dollar que j'ai en poche afin de pouvoir prendre un bus de l'autre côté de la frontière et me rendre à Guayaquil, où là, enfin, je pourrai changer ma traite bancaire.

Il me vient alors l'idée de lui montrer la carte professionnelle que le colonel m'avait donnée après notre virée au Club.

J'affirme au douanier que le colonel m'a demandé de l'appeler si jamais j'avais des problèmes. Erreur! Me voici pris par la peau du cou par le douanier qui me pousse violemment dans une petite pièce et qui me fait savoir clairement que je ne sortirai pas de là avant de lui avoir remis les 2$ en question.

Je me dégonfle et lui refile les précieux dollars... Rendu de l'autre côté de la frontière, dans un bled perdu, je réussis à emprunter un peu d'argent à un autre voyageur, juste assez pour le billet de bus, et me voilà enfin à Guayaquil.

Premier arrêt : la banque, où je peux enfin encaisser mon mandat !

Comme dans les films, l'histoire finit bien et mes deux filles applaudissent spontanément la fin de l'anecdote.

Bravo, papa!

Je n'aurais jamais pensé à l'époque que cette aventure me ferait passer pour un héros aux yeux de mes filles, 20 ans plus tard!