Catherine Duprey lève sa machette d'un geste lent, presque blasé, et frappe un grand coup sur le fruit placé devant elle. La coquille robuste se fend en deux pour laisser apparaître une toute petite noix de muscade, emblème de l'île de la Grenade, située dans la mer des Caraïbes, à 200 km au nord du Venezuela.

La propriétaire du Dougalston Spice Boucan nous montre ensuite comment sont apprêtés le cacao, la cannelle, les fèves tonkas et une multitude d'autres épices qui poussent dans les terres fertiles de sa plantation. Une technique qui n'a pas changé depuis des siècles.

Quelques kilomètres plus loin, à la River Antoine Rum Distillery, la guide Julie Bernard se fait un plaisir de nous expliquer, démonstration à l'appui, comment est produit le rhum à partir de la canne à sucre. Les méthodes - et l'équipement - sont les mêmes depuis 1785! La boisson est puissante et ne manque pas d'étourdir les quelques touristes présents, surtout avec la température extérieure avoisinant les 35 degrés Celsius.

Visiter la Grenade, c'est un peu retourner dans le temps, à une époque où l'abondance de la terre et de la mer suffisait presque à rendre tout le monde heureux.

L'humeur est joyeuse et relax dans la minuscule île de 350 km2 (les deux tiers de la superficie de Montréal), malgré l'important traumatisme vécu il y a quatre ans. L'ouragan Ivan, d'une rare violence, a endommagé 85 % des maisons et la plupart des hôtels, en plus de déraciner des milliers de muscadiers, dont la noix assure une bonne partie des revenus du pays.

Les Grenadiens ont profité de cette catastrophe pour rénover leurs infrastructures touristiques selon des normes élevées. Sans tomber dans la démesure des mégacomplexes hôteliers. Les choses pourraient toutefois changer. De grands promoteurs internationaux caressent des projets de plusieurs centaines millions de dollars, qui risquent de modifier considérablement le portrait de l'île d'ici quelques années. Cet afflux d'argent sera bénéfique pour la fragile économie locale, mais il inquiète aussi une partie de la population, attachée au rythme de vie lent et modeste de la région.

Pour l'heure, les visiteurs peuvent être rassurés: la Grenade n'a rien à voir avec les îles tropicales bondées de «tout-inclus». Elle séduit par sa beauté et surtout son charme brut, sans artifice.

Les paysages montagneux, héritages d'anciens volcans, sont couverts presque intégralement d'une végétation luxuriante. Les plages de sable fin - blanc ou noir - sont immaculées et toutes ouvertes au public. La mer est d'un bleu turquoise et offre des zones de plongée spectaculaires.

On peut parcourir l'ensemble du pays en voiture en une journée, un périple qui donne parfois mal au coeur tant les routes sont étroites et escarpées. Tout au long du chemin, on croise des lieux dont les noms français évoquent le passé pré-britannique de la Grenade: Grande Anse, Lance aux Épines, Chez Nora...

À peu près au milieu de l'île, dans la forêt pluvieuse, on se retrouve presque en pleine jungle. Il a suffi de sortir une banane de la voiture pour que, quelques minutes plus tard, deux petits singes viennent s'en emparer! Ils l'ont dégustée avant de se prêter à ce qui ressemblait drôlement à une séance de photos.

Des singes aussi sociables et décontractés que leurs concitoyens à deux pattes...

Un peu d'histoire

La Grenade a beau être minuscule, son histoire n'en est pas moins mouvementée. Le pays a été découvert en 1498 par Christophe Colomb, puis difficilement colonisé par les Français dans les décennies suivantes, les résidants indigènes n'appréciant pas les nouveaux venus. Les Britanniques ont pris le contrôle de l'île à la fin du XVIIIe siècle, avant d'importer massivement des esclaves d'Afrique et d'imposer leur langage. La colonie a finalement obtenu sa pleine indépendance en 1974. Une tentative subséquente d'implanter un État socialiste a provoqué une invasion massive et controversée de l'armée américaine en 1984. Le pays est aujourd'hui démocratique et vient d'élire un nouveau gouvernement.

Des épices pour la cuisine... et la chambre à coucher

De la muscade au petit-déjeuner, au dîner, au souper... et dans la chambre à coucher! Les épices, et particulièrement la goûteuse noix, font partie intégrante de la vie quotidienne des Grenadiens.

La muscade est littéralement servie à toutes les sauces. On la mélange à l'alcool, à des médicaments, au yogourt et à plusieurs desserts. Le sirop est aussi très populaire. «Vous avez votre sirop d'érable, et nous, notre sirop de muscade, dit Roger, notre guide. On en met sur tout, même sur le poulet.»

Les commerçants de l'île vantent aussi les propriétés aphrodisiaques de certaines épices locales. Debbie, propriétaire de la boutique Carribean Naturals, s'est fait un devoir d'expliquer en détail les vertus de l'écorce de «bois bandé». Laquelle, assure-t-elle, est aussi puissante que le Viagra.

Qu'on croit ou pas à leurs pouvoirs érotiques, une chose est sûre: les épices cultivées dans l'île ajoutent un exotisme indéniable à la cuisine des restaurateurs locaux. Même les restos à saveur internationale, comme le café italien Laluna, les intègrent à leurs plats. Le soir de notre visite, le chef avait concocté un fettucini aux champignons porcini, sauce à la crème et muscade. Délicieux.

Les autorités touristiques locales misent gros sur les épices pour tenter de démarquer la Grenade des nombreuses îles environnantes. Ils font la promotion de la région comme «l'épice des Caraïbes», une appellation qui n'a rien de fallacieux dans ce cas-ci.

Saint George's minuscule et colorée

Le marché public de la minuscule capitale Saint-Georges est comme un condensé de la Grenade: grouillant de vie, coloré, et peuplé de personnages au franc-parler et au sourire facile.

Le matin de mon passage, «Big Mama», une marchande joviale qui porte bien son surnom, a utilisé tous les trucs possibles pour tenter de me vendre ses épices et ses odorants colliers. «Tu pourrais me marier n'importe quand. Je ne veux plus rien savoir des Noirs, je veux mettre du lait dans mon café!»

Le marché du samedi constitue sans contredit l'activité la plus courue de la petite ville de 4000 habitants, située dans une baie au sud-ouest de l'île. On y trouve des tonnes de fruits et légumes locaux (dont le callaloo, sorte d'épinard très populaire dans la région), des épices, des bijoux et de petits bars improvisés où l'on peut boire une Carib lager bien fraîche entre deux achats.

La concentration de touristes est beaucoup plus élevée à Saint-Georges que dans le reste de l'île, en raison des paquebots de croisière qui y accostent régulièrement.

La ville a un cachet presque européen, avec ses petites maisons multicolores nichées dans les montagnes qui surplombent la baie. Mais elle demeure incontestablement antillaise, comme en témoignent les «rasta men» et la musique calypso omniprésents.

On trouve des sites dignes d'intérêt dans la capitale, dont quelques églises et cathédrales - encore amochées par l'ouragan Ivan -, un fort historique, un stade tout neuf et un marché de poissons.

Repères

La Grenade est située à 200 km au nord des côtes vénézuéliennes, dans la mer des Caraïbes. Elle compte environ 95 000 habitants, qui parlent anglais. Le pays est composé de trois îles principales: Grenade, Carriacou et Petite Martinique.

Les Canadiens n'ont pas besoin de visa pour s'y rendre.

Aucune ligne aérienne ne relie directement Montréal à la Grenade. Air Canada offre en hiver des vols directs de Toronto, qui durent moins de six heures. Air Jamaica offre des vols directs de New York et American Airlines de Miami.

Vacances Air Canada offre aussi des forfaits tout-inclus dont les prix varient de 1400 $ à 3400 $ pour une semaine, taxes comprises, selon l'hôtel et la date.