Notre journaliste Sara Champagne passe le mois de juillet à parcourir les campings de la province. Voici son troisième récit de voyage, du parc d'Aiguebelle, en Abitibi.

C'est rare en bibitte. Il faut chercher des kilomètres à la ronde pour trouver. Et encore. Les campings sont nombreux en Abitibi, mais celui-ci est une vraie manne. Tout simplement parce qu'il n'y a pas de quatre-roues pour venir «nous casser les oreilles toutes les minutes», explique Marilyn, en préparant ses deux fillettes pour une virée à la plage du lac Matissard.

La lune est pleine ce soir. C'est devenu un rituel pour cette famille de La Sarre, à environ une heure de route. Chaque été, ils viennent passer les vacances ici, au camping Abéjévis, du parc d'Aiguebelle. Et quand le ciel est clair, quand le fond de l'air est doux et que les conifères se jettent dans la lune comme ce soir, le lac devient miroir. Et on a la permission de veiller tard au coin du feu, ajoute Marylin.

On prévoyait pourtant des orages forts en début de soirée, en plein au moment de monter la tente. Le mercure devait chuter à 13 degrés à la brunante. Sans oublier les mouches noires de l'Abitibi-Témiscamingue, de véritables vampires se plaisant à arracher de gros bouts de peau, paraît-il. Mais finalement, non. L'été est aussi beau qu'ailleurs au Québec. Même qu'il y a canicule.

Il est vrai qu'il faut traverser la réserve faunique La Vérendrye pour y parvenir. Il est question, en tout, d'un trajet de plus de 500 km à partir de Montréal. Et il faut se préparer à rencontrer des orignaux et des ours en chemin, a-t-on aussi dit. C'est vrai que la route est éreintante, mais on n'a pas croisé de bêtes dans le parc. Seulement quelques camionneurs pressés. Il y a aussi ce décor renversant, composé de conifères foncés et d'arbres à écorce blanche, un tableau rappelant ceux du Groupe des Sept.

Au réveil, le chant des oiseaux marque le tempo. Un écureuil taquine les orteils sous la table à pique-nique. Le calendrier des activités est impressionnant. Il tourne autour de la randonnée pédestre. Il y a aussi la baignade et le canot. Le kayak de mer et l'archéologie. Il y a la pêche, encore. C'est un heureux casse-tête de choisir.

Et il y a le sentier La Traverse, conduisant à une passerelle suspendue au-dessus du lac La Haie. L'équipe du parc s'entend pour dire que de ne pas y aller serait comme d'aller à Paris et de ne pas voir la tour Eiffel. C'est vrai. On peut y aller en marchant ou par l'eau. Ou faire les deux, c'est selon le seuil de tolérance au vertige.

La garde-parc Lise Pichette est contente. On a opté pour l'eau, c'est moins haut. Mme Pichette propose depuis des années aux campeurs de pagayer sur le lac La Haie, qui file directement sous la passerelle, de marcher 1 km, et ensuite de pagayer sur l'autre lac. On parle d'environ 7 km aller-retour. Une grosse journée. L'affaire conclue, Mme Pichette donne les pagaies et les gilets de sauvetage.

La plage est déserte. On a le choix du canot. La brise est forte, mais bonne, et l'eau est limpide. Le temps s'arrête. Sous la passerelle, on reçoit un avertissement d'une famille qui fait la fierté du parc d'Aiguebelle; des faucons pèlerins. La veille, un naturaliste a expliqué qu'ils nichent dans la paroi rocheuse depuis quelques années. Il faut donc pagayer en silence pour ne pas les déranger.

On accède à l'autre rive après une bonne heure d'effort. Il y a un quai pour un pique-nique improvisé. Sur le sentier conduisant à l'autre lac, on tombe sur une carcasse de cerf en décomposition. Il y a des loups dans le secteur. Mais la meute est en santé, donc pas intéressée par les humains, dit-on.

Le soleil se rapproche de l'horizon. Il ne fait ni froid ni chaud. On rame aussi sur le lac Sault. Un autre écosystème, marécageux aux abords, avec des escarpements pour les adeptes du trekking. Le silence est la récompense de la journée. Sur le chemin du retour, on entend le vent dans les branches. La lune revient, plus pleine que la veille. Les filles de Marilyn ont les joues pleines de soleil. Elles ont fait du vélo aujourd'hui, elles ont couru dans les bois et elles se sont baignées. On a bientôt rendez-vous avec les conifères dans la lune du lac Matissard.