Une quinzaine de kilomètres à peine séparent les villages de L' Anse-Saint-Jean de Petit-Saguenay, mais si les bourlingueurs s'attardent volontiers dans le premier, ils daignent souvent ne faire qu'un simple arrêt dans le second. Les deux font pourtant une formidable paire...

L'un est tourné vers la rivière, l'autre plutôt vers le fjord. L'un est plus rustique, l'autre plus touristique. Petit-Saguenay et L'Anse-Saint-Jean se complètent à merveille. Peu importe les anciennes guerres de clochers.

L'histoire de Petit-Saguenay est de celles qui commencent mal. Par un drame, un sinistre incendie qui ravagea, en 1900, la scierie et la totalité du campement de travailleurs de la société forestière Price installée sur les rives de l'anse Saint-Étienne, ne laissant derrière lui qu'un amas de cendres et les vestiges d'une cheminée. Personne n'a perdu la vie, mais un village est mort ce jour-là.

«C'est ici que tout a commencé», relève Élias Côté, le conteur du village, en s'arrêtant devant une jolie maison de campagne où, il y a plus d'un siècle maintenant, des fermiers mal avisés ont allumé ce qui ne devait être qu'un petit feu de broussailles. Le brasier refroidi, la Price a préféré reconstruire sa scierie dans un territoire jugé plus stratégique, à Baie-Sainte-Catherine, tandis que les centaines de familles jetées à la rue migraient de quelques kilomètres pour trouver refuge le long de ce qui deviendrait sans doute l'une des plus célèbres rivières à saumon des environs, sinon du Québec, celle de Petit-Saguenay, et y fonder le village du même nom.

Pendant des années, de riches hommes d'affaires viendront y titiller le poisson, au gré d'ententes avec le gouvernement qui leur en donnait l'accès exclusif. Un «club des messieurs» sera construit près de la rivière, où le grand-père d'Élias Côté travailla comme surintendant, son petit-fils jamais bien loin...

«Les gens du village nous demandaient: est-ce que les "messieurs" sont là? Si oui, personne n'osait pêcher. Sinon, c'était une autre histoire!», se rappelle Élias Côté.

C'était le bon temps de la pêche: sur les photos en noir et blanc, les hommes peinent à tenir à bout de bras des saumons si gros qu'on a du mal à croire que les photos n'ont pas été retouchées. Maintenant, Élias Côté rejette tous les poissons qui mordent à ses hameçons. Le club de pêche a établi une charte que d'autres municipalités songent à adopter à leur tour, pour assurer la pérennité de la ressource. «Je veux redonner à mes petits-enfants ce que l'on m'a donné», insiste-t-il.

Pour cela, il faut aussi assurer la survie de Petit-Saguenay. Le village ne compte pas 1000 habitants et il a été placé par Québec sur la liste des «municipalités dévitalisées» il y a quelques années, mais on y sent une énergie nouvelle. «Beaucoup de jeunes s'installent», remarque David Gaudreault, 32 ans, qui a grandi ici et choisi d'y rester, avec sa conjointe, pour élever leurs deux enfants.

L'épicerie du village est flambant neuve: la communauté s'est mobilisée et a formé une coopérative pour la garder, faisant renaître au passage le poste d'essence.

«Les touristes vont davantage à L'Anse-Saint-Jean, mais ici, nous avons autre chose à offrir, une histoire, des rencontres avec des artisans passionnés», dit Philôme Lafrance, 31 ans, agent de développement de Petit-Saguenay qui n'hésite pas à parler de son bled comme du plus beau du Québec.

L'Anse-Saint-Jean

Si rivalité entre les deux villages il y a, elle est pourtant peu palpable sur le terrain. «On a eu nos petites guerres de clochers, mais maintenant, c'est moins visible parce qu'on a besoin l'un de l'autre», observe Elias Côté.

L'Anse-Saint-Jean a misé sur le développement du tourisme dès la fin des années 70, attirant les visiteurs avec son joli pont couvert qui, à une époque où ils existaient encore, ornait les billets de 1000$, son église centenaire (nouvellement ouverte aux visiteurs depuis cet été) et son quai ouvert sur le fjord.

Il fait partie du club sélect des fleurons du Québec et de l'Association des plus beaux villages. On y trouve aujourd'hui davantage de restaurants, de maisons d'époque, d'auberges et de boutiques qu'à Petit-Saguenay. On y mange bien, très souvent grâce aux produits venant de ce dernier, d'ailleurs. Pour Louis Dubord, guide de kayak installé dans la région depuis plus de 20 ans, L'Anse-Saint-Jean n'est pas bien loin de la perfection... «Le fjord, l'été, la station de ski [du mont Édouard], l'hiver, c'est dur de ne pas être comblé!»

La rivalité, disions-nous, est peu palpable, mais cela n'empêche pas que chacun ait son chouchou. Quel sera le vôtre? Plutôt que de passer en coup de vent chez l'un ou l'autre, planifiez plutôt un long week-end dans le coin pour le découvrir.

PETIT-SAGUENAY EN CINQ BONNES ADRESSES

ATELIERS TERRE-FORTE

L'amour ? C'est bien ce qui a entraîné Kathlyn Bergeron dans un rang reculé de Petit-Saguenay, sur les traces d'un fiancé né tout près. Mais le talent, c'est bien ce qui nous fait oublier le détour qu'il faut faire pour aller jusqu'au studio de la jeune et jolie céramiste, pour y découvrir ses bols et théières d'inspiration japonaise, cuits à la manière du raku, glacés de verts, bleus et marron irisés. L'atelier voisin est celui dudit concubin, forgeron d'art de profession qui, avec un cousin ébéniste, crée des tables et chaises de cuisine sur mesure, dont on trouvera d'ailleurs de beaux exemples dans le coin café de l'épicerie du village.

40, chemin Saint-Louis, Petit-Saguenay

CHAMPIGNONS DU FJORD ET CERFS ROUGES DE SAINT-ÉTIENNE

On travaille en famille sur le chemin Saint-Étienne de Petit-Saguenay. Depuis le village, on croise d'abord la ferme des soeurs Sherley et Miriam Boudreault qui cultivent les pleurotes et les jeunes pousses depuis deux ans, puis, quelques centaines de mètres plus loin, l'élevage de cerfs rouges de leurs parents. Les emplois ne sont pas nombreux dans la région, « mais on tenait à y rester, alors on a cherché et trouvé notre voie », explique Miriam. Les champignons se cultivent à l'année, requièrent peu d'espace et trouvent preneurs chez les restaurateurs de la région. On les achète, marinés ou séchés, à la ferme, avec quelques saucisses de cerf.

74, chemin Saint-Étienne, Petit-Saguenay

VILLAGE-VACANCES PETIT-SAGUENAY

Il faut voir les photos d'archives pour le croire : c'est ici, dans la baie de Saint-Étienne, que la société Price avait construit, il y a 120 ans, l'une de ses plus importantes scieries de la région, entièrement détruite par le feu en 1900. Des traces du village, il n'en reste pas. La reconversion a été bien menée : le site abrite désormais un club vacances tout inclus où l'on vient en famille passer la semaine, en chalet ou en camping, profitant des activités offertes pour les enfants par des animateurs, de la plage et des sentiers de randonnée. On fournit même les gardiennes, les jeudis soir, pour donner un petit répit aux parents.

99, chemin Saint-Étienne, Petit-Saguenay

ASSOCIATION DE LA RIVIÈRE PETIT-SAGUENAY (DIT « CLUB DES MESSIEURS »)

On s'imagine au « Club des messieurs » dans un décor de cinéma : les chalets sont bien entretenus, mais d'un style qu'on ne fait plus depuis des lustres. Celui, vintage au possible, du milieu du XIXe siècle, quand ce club sélect a été construit pour de riches hommes d'affaires et leurs clients qui venaient - les dames aussi ! - y pêcher des saumons gros comme il ne s'en trouve plus. Autres temps, autres moeurs, les chalets sont offerts en location, pour tous, et l'on y applique une charte protégeant les saumons. En famille, on louera un canoë pour descendre la rivière sur près de 12 km, tout en serpentins et exceptionnellement calme à cet endroit. Splendide.

100, rue Eugène-Morin, Petit-Saguenay

AUBERGE AUX DEUX PIGNONS

Située au pied des murailles de Petit-Saguenay, l'Auberge aux deux pignons propose 12 chambres réparties dans deux pavillons au charme d'antan, avec meubles antiques et planchers de bois. Plutôt petites, elles sont néanmoins toutes pourvues d'une salle de bains privée et on apprécie l'agréable salon commun du pavillon Ferland. Possibilité de souper sur place.

117, route 170, Petit-Saguenay

À FAIRE AUSSI 

• Admirer le coucher de soleil au bout du quai.

• Encourager les jeunes qui gèrent la boulangerie saisonnière Coeur du village

• Randonner sur le sentier des caps reliant L'Anse-Saint-Jean et Petit-Saguenay

PHOTO HUGO-SEBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Au village de Petit-Saguenay, la boulangerie Coeur du Village.

L' ANSE-SAINT-JEAN EN CINQ BONNES ADRESSES

CAFÉ DU QUAI

Basta ! Après neuf années d'allers-retours entre le Québec et la Bretagne, le coeur d'un côté de l'océan et la raison (financière !) de l'autre, Sébastien Pirot a décidé de tenter le tout pour le tout, l'an dernier, en ouvrant pile devant le quai de l'Anse-Saint-Jean une crêperie bretonne parfaite pour combler une fringale après une sortie en kayak. Menu santé et nourrissant tout en variations sur le thème de la galette de sarrasin ou de froment, salée ou sucrée, que l'on accompagne bien sûr de cidre. Certainement le meilleur endroit pour prendre un cappucino au village.

358A, rue Saint-Jean-Baptiste, L'Anse-Saint-Jean

REBELLES DES BOIS

Inévitable ? Dans une région dont le l'histoire est si intimement lié à l'exploitation forestière, c'est le bois qui sert de matière première aux bijoux fabriqués par les Rebelles des bois Nathalie Bilodeau et Claudia Labrèche. On peut d'ailleurs les voir à l'oeuvre dans leur atelier au pied du quai, qui sert aussi de jolie vitrine aux artisans de la région et du Québec, dont les très jolies reliures de Terrain vague.

358C, rue Saint-Jean-Baptiste, L'Anse-Saint-Jean

CHOCOLATERIE KAO

Kristia Riverin n'a pas perdu de temps entre le moment où elle s'est résolue à concrétiser son vieux rêve de devenir chocolatière et l'ouverture de sa petite boutique à l'entrée du village il y a quelques semaines à peine : cela sentirait le neuf si les effluves de chocolat n'étaient pas aussi vifs. Irrésistibles. Inspirée par Geneviève Grandbois, qui l'a d'ailleurs conseillée dans cette aventure, elle se spécialise dans les ganaches parfumées aux épices.

224, rue Saint-Jean-Baptiste, L'Anse-Saint-Jean

BISTRO DE L'ANSE

Ce n'est pas d'hier que l'on aime se réunir au Bistro de l'Anse. Construit en 1860 par la famille Price, le bel édifice en bois a d'abord servi de chalet de pêche, privé, à des hommes d'affaires fortunés. Il faudra attendre la fin des années 90 pour qu'il soit ouvert au public, racheté par une coopérative de solidarité régionale, puis transformé en restaurant, salle d'exposition et de spectacle. Sans être particulièrement raffinée, c'est l'une des tables les plus intéressantes du coin, où l'on fait honneur aux produits locaux (vive le cerf rouge !). Agréable terrasse.

319, rue Saint-Jean-Baptiste, L'Anse-Saint-Jean

FJORD EN KAYAK

On n'oserait même pas y penser : aller à L'Anse-Saint-Jean sans faire une sortie sur le la rivière ? Impossible ! L'agence Fjord en kayak propose des circuits variés adaptés pour tous : de la petite initiation de 3 heures à la grande virée de 5 jours ! Embarcations de qualité et guides intéressants qui connaissent bien leur métier et l'histoire de la région. Mieux : on accueille même les enfants dès 3 ans pour les excursions familiales, une rareté dans l'industrie. À partir de 59 $ plus taxes.

359, rue Saint-Jean-Baptiste, L'Anse-Saint-Jean

À FAIRE AUSSI

• Visiter le pont couvert construit en 1929, qui ornait jadis les billets de 1000 $.

• Parcourir le sentier patrimonial et découvrir les nombreux fours à pain antiques du village.

• Apprécier la vue sur le fjord depuis l'Anse-de-Tabatière.

PHOTO HUGO-SEBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Kristia Riverin, chocolatière.