La planète compte un grand nombre de sommets plus élevés. Or, dans un coin de pays où les rigueurs du climat sont déjà remarquables au niveau de la mer, l'ascension des 1646 mètres du mont D'Iberville s'avère aussi éprouvante qu'enthousiasmante.

Ce qui est chouette avec le mont D'Iberville, le point culminant du Québec, c'est que c'est une belle montagne. Ce n'est pas un de ces sommets arrondis, peu dramatiques, qui ne suscitent pas l'enthousiasme.

Non.

À 1646 m, D'Iberville est une aiguille spectaculaire qui s'élance à l'intersection d'arêtes vertigineuses. Justement, sur une de ces arêtes, je me sens un peu en dehors de ma zone de confort, juchée entre le Nunavik d'un côté et le Labrador de l'autre. Pour ne pas me laisser intimider par ces versants abrupts qui chutent des deux côtés, je me concentre sur le paysage fabuleux des monts Torngat, sauvages, presque inaccessibles, couverts de neige en ce début d'été très très en retard.

Je distingue des glaciers du côté du Labrador, de petits lacs glaciaires encore gelés, des cirques majestueux. Le mont D'Iberville, également connu sous le nom de Caubvick, se mérite. On peut y accéder par le Labrador, par le parc national des monts Torngat, ou par le Nunavik, par le tout nouveau parc québécois Kuururjuaq.

C'est celui-ci que je choisis.

Comme il faut vraiment savoir ce que l'on fait pour escalader ce pic et comme mon expérience en escalade de rocher est plutôt limitée, je me joins à un groupe organisé par l'agence spécialisée Attitude Montagne. Le voyage commence vraiment lorsque l'avion Twin Otter nolisé, qui nous a cueillis à Kuujjuaq, nous dépose sur un bout de gravier sur le bord de la rivière Koroc, à l'intérieur du parc, à la fin juin. Il décolle, nous laissant seuls... avec une constatation: «Euh, ce n'était pas censé être l'été?» La neige couvre de grands pans de la toundra, il vente à écorner les caribous et des flocons de neige voyagent à l'horizontale... Il y a un avantage majeur à tout ça: pas de moustiques!

Nous nous hâtons de dresser le camp pour nous donner un brin de réconfort. Nous utilisons les deux jours suivants pour nous rendre à notre camp de base. Nous portons des sacs énormes, bien lourds: à la dernière minute, en raison des conditions hivernales, nous avons ajouté à notre équipement d'escalade de base un piolet, des crampons et une doudoune supplémentaire. Le terrain n'est pas facile: il faut traverser des cours d'eau et des bandes de buissons bien serrés, de gros cailloux éclatés et de neige un peu traître: on peut souvent marcher sur une croûte assez robuste, mais parfois, elle cède et on se retrouve avec de la neige jusqu'au genou ou jusqu'à la cuisse.

Nous avons une chance extraordinaire pour le jour de l'ascension: le temps vire au grand beau. Le ciel est bleu, le vent est minimal, il fait même presque chaud. Le camp de base est à 530 m d'altitude, nous devons donc grimper 1116 m pour atteindre le sommet. Ça ne semble pas énorme, mais avec la topographie particulière du mont D'Iberville, ce n'est pas du gâteau.

Nous partons à 7h30. Comme il a gelé pendant la nuit, la croûte de neige est bien solide et nous permet de progresser rapidement. Du camp de base, il y a deux voies possibles pour atteindre le sommet. L'arête Korok permet de se rendre tout près du sommet en faisant de la simple randonnée. Il faut par la suite franchir une section d'escalade de rocher relativement corsée avant de parvenir au sommet. Or, une reconnaissance la veille nous a permis de voir que de la neige couvre justement un passage particulièrement délicat. Notre guide, Bjarne, a donc décidé d'opter pour la deuxième voie, l'arête Minaret.

Elle est techniquement plus facile, mais elle est vertigineuse beaucoup plus longtemps. Nous suivons d'abord une vallée, puis une crête de plus en plus effilée jusqu'à la fameuse arête Minaret. C'est le temps de mettre les casques (une chute de pierres est si vite arrivée), de s'encorder et d'empoigner le piolet. Je regarde soigneusement où je mets les pieds. Je ne lève les yeux que lorsque nous prenons une pause. Je me croirais dans les Alpes. Sauf que du côté du Labrador, je peux voir, au-delà des derniers pics, la mer d'un bleu profond où flotte un iceberg. Plus loin, c'est la banquise. Il faut contourner ou passer au-dessus de pitons rocheux, les minarets.

La roche offre des prises faciles, qui permettent de monter ou de descendre sans problème, mais il y a le vide, en dessous, qui ajoute un petit stress à l'aventure. Et il y a la neige, qui nous déstabilise un peu. Après trois heures de travail sur l'arête Minaret, nous arrivons enfin au sommet du Québec. Et, en prime, du Labrador! La frontière passe au milieu de la montagne. Il y a au sommet un petit plateau de la taille d'une camionnette. À une extrémité, le sommet du Labrador a 30 cm de plus que celui du Québec, à l'autre extrémité. Mais le cairn (amas de pierres) du sommet québécois est plus grand, ce qui laisse penser qu'il y a plus de Québécois qui viennent ici que de Terre-Neuviens...

Il fait encore beau, nous nous permettons de relaxer un peu. Et puis, je n'ai pas tellement hâte de refaire l'arête Minaret en sens inverse. En fait, du sommet, je ne vois même pas par où nous sommes montés: on dirait que les parois de la montagne tombent à la verticale de tous bords, tous côtés. Bjarne nous met cependant sur le bon chemin. Le retour se fait d'ailleurs bien plus facilement, peut-être parce que nous sommes plus en confiance. Je me permets même de prendre des photos, ce que je n'aurais jamais osé faire durant l'aller, trop occupée à m'agripper fermement aux rochers.

Nous n'arrivons au camp de base qu'à 19h, soit 11h30 après notre départ. Mais à ce temps-ci de l'année, le soleil n'est pas encore sur le point de se coucher, ce qui permet de relaxer et de faire sécher bottes et chaussettes.

Nous avons encore deux jours de marche à faire pour rejoindre la piste d'atterrissage, mais pour l'instant, nous savourons notre réussite.