Quand Pierre Parent s'est acheté un chalet à Venise-en-Québec, au début des années 2000, il ne dictait pas à ses amis de Montréal le chemin le plus court pour venir chez lui. Il leur faisait faire systématiquement un détour pour éviter le coeur du village. Tant pis pour le désagrément : « Je ne voulais pas que les gens le voient, c'était plutôt en décrépitude. »

Le centre-ville était accaparé par un motel et un restaurant qui ne payaient pas de mine. Les villageois racontent encore aujourd'hui à qui veut bien l'entendre qu'un groupe criminel en aurait été propriétaire et s'en serait servi pour faire du blanchiment d'argent ; la belle époque du Château Blanc, où l'on venait de Montréal pour danser le samedi soir, dans les années 50, était bel et bien révolue. Venise-en-Québec, au début des années 2000, était loin de figurer au palmarès des destinations touristiques les plus en vue, associée essentiellement à de grands terrains de camping où s'entassaient les tentes-roulottes, alors que des voisines misaient, à la même époque, sur de jolis bistros et de coquettes auberges.

« Il fallait absolument faire quelque chose pour rendre la municipalité plus attrayante », dit Pierre Parent. L'homme d'affaires, propriétaire de l'hôtel Crystal, à Montréal, entreprend alors de convaincre une trentaine de résidants d'investir 5000 $ pour développer des projets susceptibles de ramener les touristes à Venise-en-Québec. On commence par l'achat d'un bateau pour relancer les croisières sur le lac Champlain, l'un des dix endroits dans le monde où l'on admire les plus beaux couchers de soleil, a déjà déclaré le National Geographic, comme on se plaît à le répéter si souvent ici.

Deux ans plus tard, Venise-en-Québec est frappée par les pires inondations de son histoire : un désastre qui donnera néanmoins, par un curieux concours de circonstances, l'occasion à Pierre Parent et à son groupe d'investisseurs de racheter un terrain vague, le restaurant et le motel au centre de la municipalité, qui ont fait place aujourd'hui à une auberge dotée d'un spa moderne, à un bistro (correct, sans plus) et à un restaurant gastronomique (très bon) avec vue sur le lac, un projet qui totalise quelque 9 millions de dollars (en incluant l'achat d'un nouveau bateau de croisière de 160 places et d'un restaurant à Philipsburg, sur l'autre rive).

Les terrains de camping où des centaines de vacanciers s'entassent pour l'été n'ont pas disparu. « Mais ce ne sont plus ceux d'avant : depuis les inondations, il y a moins de vieilles roulottes, c'est mieux entretenu », estime le maire de Venise-en-Québec, Jacques Landry.

Ainsi, depuis la catastrophe, un vent d'optimisme souffle sur la municipalité, remarque Jacques Landry. « Je n'ai jamais vu une population aussi mobilisée, lance-t-il en entrevue, visiblement très fier de la métamorphose. Tout le monde s'investit : les plus fortunés avec de l'argent, les autres, en temps. »

L'élu, qui est aussi conseiller financier à Montréal, prêche par l'exemple et ne compte visiblement pas les heures qu'il consacre à sa tâche, soirs et week-ends. Sous sa houlette, Venise-en-Québec s'est dotée ces dernières années d'un tour cycliste, d'un réseau de sentiers en partie sur pilotis - fort jolis - sillonnant les marais sur plusieurs kilomètres, au milieu desquels on peut se reposer 24 heures par jour, 365 jours par année, dans un chalet chauffé l'hiver, toujours pourvu de café, de jeux de société et de quelques livres de lecture.

Jacques Landry a aussi fait en sorte que le presbytère abandonné soit transformé en centre d'exposition pour les artistes de la région et s'est mis en tête d'implanter, sur un terrain vague du centre-ville, huit maisonnettes de bois formant un marché d'artisans. Les vacanciers pourront s'y rendre depuis la marina en empruntant la promenade de bois qui sera construite à la sueur des bras d'une vingtaine de bénévoles enrôlés par le maire.

Ne manque à son bonheur qu'un CPE pour accueillir davantage de familles - une clinique privée facilite l'accès à un médecin - et plus d'activités hivernales pour maintenir une certaine activité touristique, et donc économique, pendant les mois d'hiver.

Et c'est aussi le défi que s'est posé la société Venise-sur-le-lac. L'été se porte bien, grâce à la plage et aux activités nautiques ; le nombre de billets vendus pour les croisières est en hausse constante (de 1700 en 2011 à 11 000 en 2014), ces dernières étant particulièrement populaires auprès des groupes de personnes âgées, comme nous avons pu le constater lors de notre passage. « Mais il faut trouver des moyens de stimuler le tourisme quatre saisons, entre autres pour garder nos employés qualifiés à l'année », note Isabelle Charlebois, vice-présidente du centre de villégiature. Et aussi afin d'attirer une clientèle plus jeune.

L'automne, on étire désormais la saison en proposant des circuits incluant la visite de vignobles de la région ou en attirant la clientèle d'affaires. L'hiver, on voudrait promouvoir la pêche sur glace et, « pourquoi pas ? », faire de Venise-en-Québec une destination pour le vélo sur neige (fatbike), rêve Jacques Landry qui, la soixantaine avancée, en est un nouvel adepte. On mise aussi sur le parachèvement de l'autoroute 35, qui a réduit sensiblement le trajet depuis Montréal.

N'empêche que la partie n'est pas gagnée. Venise-en-Québec se bat encore contre sa mauvaise réputation, associée aussi aux algues bleu-vert qui y ont sévi il y a quelques années, et vu son jeune âge (sa fondation remonte à 1950), elle n'a pas le charme architectural de rivales comme Sutton ou Frelighsburg. « Mais nous avons le plus beau lac, le plus près de Montréal », insiste Lise Berri, ex-mairesse du village, qui y a justement emménagé après être tombée sous son charme, il y a de cela plusieurs années. Et c'est encore, aujourd'hui, la plus belle des raisons d'aller à Venise-en-Québec.