Installer des téléviseurs à écran plat, ajouter des produits de toilette, voire agrandir la salle de bains. Au Québec, plusieurs propriétaires de petits hôtels - aussi appelés auberges - ne savent plus quelles astuces trouver pour conserver ou augmenter leur nombre d'étoiles. Évalués selon les mêmes critères que les grands établissements comme les hôtels Hilton ou Fairmont, ces lieux d'hébergement s'estiment grandement défavorisés par un système qui impose des règles de plus en plus strictes.

Plusieurs propriétaires de petits hôtels interrogés par La Presse souhaiteraient que leurs établissements - qui possèdent généralement un maximum d'une vingtaine de chambres - forment une catégorie d'hébergement à part. Plusieurs de ces endroits offrent une expérience se rapprochant davantage du gîte (bed & breakfast) que de l'hôtel traditionnel. Ainsi, la plupart n'ont même pas cru bon d'installer des écrans de télévision et des téléphones dans les chambres. On ne retrouve pas d'ascenseur et encore moins de service de valet, des critères qui comptent quand vient le temps d'accorder des étoiles. Les petits hôtels cherchent plutôt à se distinguer en offrant un service personnalisé et convivial. N'empêche, la Corporation des industries touristiques du Québec (CITQ) les évalue avec la même grille qu'elle utilise pour les grands hôtels.

« Nous n'offrons pas de vaste hall d'entrée en marbre ni de gym ni de bain-tourbillon dans une vaste salle de bains. Cependant, tout en innovant et en diversifiant, nous offrons une grande qualité d'hébergement, la meilleure attention et le meilleur environnement que recherchent les touristes visitant les régions du Québec », écrit Gilles Tardif, propriétaire des Maisons du Grand Héron, à L'Isle-aux-Grues, dans une lettre envoyée cet automne à la ministre du Tourisme, Dominique Vien.

« Appliquer les mêmes normes et les mêmes critères d'évaluation pour accorder une classification dépasse l'entendement et conduit à un préjudice grave envers les auberges champêtres », ajoute-t-il. En plus d'offrir quatre petites chambres à l'intérieur de son auberge, M. Tardif loue une maison, des yourtes et des tipis.

« Une classe à part »

« On est une classe à part, explique-t-il en entrevue à La Presse. On n'a pas de téléviseurs. Les gens n'en ont pas besoin, ils sont au cinéma du Saint-Laurent », illustre-t-il, rappelant que son établissement possède une terrasse qui donne sur le fleuve. S'il s'est toujours « accommodé » des deux étoiles que lui a décernées la CITQ, l'organisme chargé d'évaluer et de certifier les établissements d'hébergement, il disait craindre d'en perdre une à la suite de la plus récente inspection, au printemps. Le coupable: la mise en place de règles plus sévères, croit le propriétaire des Maisons du Grand Héron, notamment en ce qui concerne la grandeur des chambres et des salles de bains. En fin de compte, pour lui permettre de conserver ses étoiles, la CITQ l'a finalement changé de catégorie. Il figure maintenant dans la liste « autres établissements d'hébergement ».

« Il faut travailler très fort, en ajoutant beaucoup de petits détails pour essayer d'obtenir un meilleur classement », ajoute pour sa part Martine Sirois, propriétaire de l'Auberge Marie Blanc, à Témiscouata-sur-le-Lac, secteur Notre-Dame-du-Lac, dans le Bas-Saint-Laurent, un établissement affichant trois étoiles. Elle s'inquiète du fait que les nouveaux critères d'évaluation ne prennent plus en considération la qualité du service de restauration offert dans bon nombre d'établissements. Un aspect qui aide souvent les auberges à attirer de la clientèle. Mme Sirois craint elle aussi de dégringoler dans le classement. « Si on perd une étoile, je vais sûrement monter au front. »

Propriétaire depuis 25 ans de l'Auberge du Mange Grenouille, au Bic, près de Rimouski, Carole Faucher raconte avoir entrepris de nombreuses démarches pour que les établissements comme celui qu'elle dirige se retrouvent dans une catégorie à part avec un système de classification différent. « Comment peut-on se comparer à un Holiday Inn? questionne-t-elle. On n'est pas dans le même monde. »

L'Auberge du Mange Grenouille possède 22 chambres, dont 18 avec salle de bains. Une situation qui fait perdre des points. À cela, Mme Faucher répond que les quatre chambres sans salle de bains sont louées à un prix inférieur aux autres, au grand bonheur de certains clients moins fortunés.

Un système « juste et équitable »

Or, en dépit de ces commentaires, la CITQ estime que son système d'évaluation est juste et équitable. Fait important: l'appellation auberge n'existe pas dans le langage bureaucratique. Ces petits établissements se retrouvent dans la catégorie gîte ou établissement hôtelier. « On ne lèse personne, lance sans détour Michel Rheault, directeur général de l'organisme. Un aubergiste qui se démarque peut avoir cinq étoiles, mentionne-t-il. La qualité, elle n'est pas juste dans les écrans télé. »

Vérification faite, les 15 établissements cinq étoiles du Québec possèdent tous plus de 20 chambres. Les trois plus petits hôtels, le Quintessence, le Ripplecove et le Manoir Hovey, offrent respectivement 30, 31 et 37 chambres. Les autres comptent de 60 à 611 chambres. Conclusion: aucun hôtel de 20 chambres ou moins ne s'est taillé une place dans le club sélect des cinq-étoiles.

Tout indique que ces petits établissements risquent de rester dans l'ombre des grands. « Je pense qu'il n'y a pas de volonté politique d'ajouter une catégorie », mentionne M. Rheault.

À cela, la ministre Vien répond n'avoir reçu aucune demande officielle à ce sujet, mais assure que si les hôteliers en manifestent le désir, elle prendra le temps d'analyser le dossier.