En 12 ans à peine, plus du quart des gîtes du Québec ont fermé leurs portes. Du rêve d'accueillir des voyageurs dans sa jolie demeure à la réalité de diriger une entreprise dans un marché en plein bouleversement, le fossé est grand. Portrait d'un déclin que les réseaux sociaux ne font qu'accentuer.

De 2002 à 2014, le nombre de gîtes est passé de 1679 à 1217 au Québec. Beaucoup de propriétaires, donc, ont mis la clé sous la porte. Pourquoi?

Bricoleur, cuisinier, administrateur, actif sur les réseaux sociaux, voilà quelques-unes des qualités requises pour diriger un gîte. Porter autant de chapeaux peut représenter un véritable casse-tête pour plusieurs propriétaires, qui se découragent et mettent finalement la clé sous la porte.

Il fut pourtant un temps où le gîte était l'incarnation classique du rêve de retraités qui, une fois les enfants partis de la maison, souhaitaient combler un vide dans la demeure.

«L'engouement pour les gîtes a été très fort dans les années 90 en raison d'un fort courant à la retraite hâtive, raconte le président du Réseau des Gîtes Classifiés du Québec, Pierre Petit, également propriétaire du gîte La Voie du coeur, à La Malbaie. Beaucoup de gens qui prenaient leur retraite décidaient de réaliser leur rêve d'ouvrir un gîte.»

Mais les temps ont changé, et les exigences aussi. Plusieurs nouveaux propriétaires qui ont en tête l'image idyllique d'une vieille maison de pierres abritant quelques chambres au décor champêtre et une immense salle à manger où accueillir les clients, qui viendront savourer un petit-déjeuner composé d'une omelette, de fruits frais et de confiture de fraises maison, voient vite leur rêve tourner au cauchemar.

Les rénovations à faire, les comptes à payer, les exigences à respecter pour obtenir ou préserver une bonne classification (les «soleils» qu'accorde le ministère du Tourisme), les taxes imposées par certaines villes et les droits annuels des associations figurent tous sur la liste des difficultés auxquelles sont confrontés les propriétaires, mentionne Odette Chaput, directrice générale de Terroir et saveurs, un réseau qui regroupe plus de 450 établissements d'hébergement, de restauration et d'agrotourisme.

Aujourd'hui, la durée de vie moyenne d'un gîte est de cinq ou six ans, tout au plus.

«C'est un choix de vie qui a peut-être été idéalisé, ajoute-t-elle. Malheureusement, beaucoup de gens ont ouvert des gîtes sans réfléchir. La maison était belle. Ça, on se l'est fait dire souvent.»

«Au fil du temps, ajoute Mme Chaput, les normes ont beaucoup évolué. Je me souviens de gîtes «cinq soleils» qui ont dû fermer, car c'était trop cher pour eux de maintenir ce niveau.»

Il arrive même que certains établissements ne souhaitent pas figurer parmi les «cinq soleils», de crainte que les attentes des clients soient trop élevées.

L'effet «Airbnb»

L'hébergement illégal, un phénomène de plus en plus répandu, complique encore davantage les choses pour les propriétaires de gîtes.

Aujourd'hui, grâce à plusieurs sites comme Airbnb, des centaines de personnes louent au Québec des chambres à prix modiques, sans avoir de classification, sans payer d'impôts ni de taxes d'hébergement.

«Je commence à m'essouffler, admet Patryck Thévenard, propriétaire du gîte Atmosphère, rue Panet, à Montréal. Je ne suis pas capable de les concurrencer. Mon gîte n'est plus une activité rentable.»

La guerre de la Toile

D'autres phénomènes liés aux nouvelles technologies peuvent aussi contribuer à ébranler les propriétaires de gîtes.

Un site modeste qui paraît archaïque, où les photos sont floues ou montrent des décors de chambres un peu figés, voilà qui peut chasser en un tournemain un client potentiel.

Sylvain Boucher, copropriétaire avec sa conjointe Johanne St-Onge de l'Auberge des eaux vives, dans Charlevoix, depuis huit ans, en sait quelque chose. Il y a quelques années, le couple a décidé de prendre le taureau par les cornes en investissant des sommes importantes pour la mise en ligne d'un site attirant, notamment grâce à des photos prises par des professionnels.

«C'est notre carte professionnelle, illustre-t-il. On s'est dit: si ça ne fonctionne pas, on coule.»

Mais il ne faut pas croire qu'un site attrayant suffit. Pour se faire connaître, les propriétaires de gîtes doivent être visibles sur les réseaux sociaux, conclure des partenariats avec des restaurants, des centres de ski ou des centres de santé du coin, histoire d'offrir des forfaits avantageux aux clients.

Pour réussir, résume Odette Chaput, «il faut être de bons gestionnaires, faire de bons petits-déjeuners et mettre en valeur les produits du terroir».

Mission impossible? Pas nécessairement. Plusieurs réussissent en effet à tirer leur épingle du jeu et prennent plaisir à accueillir des visiteurs année après année. C'est le cas de M. Boucher. «Pour nous, c'est un plaisir de recevoir les gens, lance-t-il simplement. On a toujours travaillé dans le public.»

Le secret de son succès? Un enthousiasme pour recevoir qui ne s'est jamais altéré, des investissements importants pour un site internet accrocheur, le maintien de seulement trois chambres afin d'éviter de se surcharger... et un emploi d'infirmier qu'il a conservé afin de s'assurer d'un revenu stable pendant la saison creuse.