Ici, dans le presbytère, les heures s'égrènent en silence. Le vent siffle dans le clocher de l'église. Il n'y a rien à faire, sinon lire, s'enliser dans ses pensées ou encore faire une longue promenade, au risque de s'enfoncer jusqu'aux chevilles dans le tapis de lichen gorgé de la pluie qui est tombée ce matin.

Depuis deux jours, je séjourne dans un des gîtes touristiques les plus isolés du Canada, sinon du monde: le presbytère de l'île Providence, un des innombrables maillons de l'archipel du Petit Mécatina, au large de Tête-à-la-Baleine.

C'est un gîte confortable, à un détail près: il n'y a ni électricité ni eau chaude.

Le soir, on s'éclaire à la lampe à huile. Le matin, on se savonne à l'aide d'un gant de toilette. La baignoire est fonctionnelle, mais inutile pour ceux qui restent insensibles aux bienfaits des bains à l'eau glacée. Deux fois par jour, une femme de Tête-à-la-Baleine qui possède un chalet dans l'île vient préparer les repas.

Le presbytère est contigu à l'ancienne sacristie de la chapelle Sainte-Anne - en fait, une belle église de bois de la fin du XIXe siècle. À l'époque, les pêcheurs de la Basse-Côte-Nord vivaient dans les îles qui festonnent le littoral sur plus de 400 kilomètres. Ils avaient le choix, puisqu'on en dénombre 4000 entre Natashquan et Blanc-Sablon, éparpillées entre une demi-douzaine d'archipels qui portent des noms chantants: Ouapitagone, Sainte-Marie, Petit Mécatina, Grand Mécatina, Kécarpui...

Quelques années plus tard, ils ont pris l'habitude de passer l'hiver sur le continent pour se rapprocher du gibier et de l'approvisionnement en bois. C'est ainsi qu'ont été fondés les villages de la Basse-Côte. Avant la fonte des glaces, les villageois chargeaient meubles et ustensiles sur des traîneaux auxquels ils attelaient leurs chiens et ils revenaient dans les îles pour se rapprocher de la haute mer pendant la saison de pêche. C'était «le grand déménagement». Ce n'est que dans les années 50, lorsque des moteurs plus puissants leur ont permis de se frayer rapidement un chemin à travers le dédale insulaire, que les pêcheurs se sont définitivement établis sur le continent. Leurs maisons dans les îles sont devenues des chalets où, l'été, ils viennent passer les fins de semaine pour échapper à l'agitation - bien relative - de Tête-à-la-Baleine, de La Tabatière et de quelques autres de ces 14 villages qu'aucune route ne relie au reste du Québec.

Il n'y a qu'à Harrington Harbour - un des plus grands et, assurément, le plus beau des villages de la Basse-Côte - que les habitants sont restés dans leur île.

Harrington Harbour

Il y a trois jours, le Nordic Express m'a débarqué en pleine nuit dans ce village où l'on a tourné le film La grande séduction.

J'ai pris une chambre chez Amy Evans, qui tient un des deux B&B de l'île. Le lendemain après-midi, Oscar Marcoux est venu me chercher en hors-bord pour m'amener dans l'île Providence, où nous sommes arrivés après plus d'une heure à crapahuter sur la mer agitée par un fort vent d'est. Retraité de Pêches et Océans Canada, cet homme né à Tête-à-la-Baleine est membre de l'équipe de Toutes-Îles, l'organisme qui commercialise des forfaits touristiques sur cette partie de la Basse-Côte. Pendant mon séjour dans l'île, j'ai eu droit aux deux excursions normalement incluses dans le forfait touristique. Ainsi, ce matin, ma dernière journée, Oscar Marcoux est revenu me chercher pour m'emmener à Mutton Bay qui, avec sa quarantaine d'habitants, est l'un des plus petits et des plus jolis villages de la Basse-Côte. Là, j'ai escaladé le sentier qui mène au sommet de Bunker Hill, grand morne d'où on profite d'une vue plongeante sur le village aux maisons de bois colorées et sur sa baie aux multiples échancrures, avec son liséré de rochers aux teintes cuivrées.

Hier, nous avons louvoyé en hors-bord dans le dédale maritime de l'archipel du Petit Mécatina. J'ai fait quelques pas dans l'île Kanty, et sur le promontoire de l'île de la Passe, où se dresse la maison d'une figure légendaire de la Basse-Côte, Jos Hébert. De 1870 à 1919, ce «postillon» assurait le service postal sur la Basse-Côte, lorsque l'accès aux baies par la mer était verrouillé par les glaces. Deux fois par hiver, avec son traîneau chargé de plus de 250 kg de courrier et tiré par un attelage de chiens, il franchissait les 700 km qui séparent Havre-Saint-Pierre - qui à l'époque portait le nom de Pointe-aux-Esquimaux - de Blanc-Sablon, à la frontière du Labrador. Gilles Vigneault a chanté ses exploits dans la chanson qui porte son nom: «Qui ce que c'est qui va porter les lettres d'amour des gars du Havre-Saint-Pierre aux filles de Blanc-Sablon sur les chemins verglacés, c'est Jos, c'est Jos Hébert.»

Les frais de ce reportage ont été payés par la Coste, la Coopérative de solidarité en tourisme équitable.

Repères

Pour des vacances sur la Basse-Côte-Nord



Gîtes, motels, B&B, fournisseurs de prestations touristiques diverses quelque 75 microentreprises sont actives dans le tourisme sur la Basse-Côte-Nord et dans l'île d'Anticosti. Comme aucune n'avait les moyens d'orchestrer une mise en marché conséquente, elles ont créé une coopérative de solidarité en tourisme équitable, la Coste (www.voyagescoste.ca

).