Le vent du fleuve ou de la montagne est déjà beaucoup plus frais quand vient l'automne, mais la nature de Charlevoix se fait toujours majestueuse en octobre. D'un sommet à l'autre en passant par des vallées sylvestres, c'est un écrin exceptionnel pour les randonneurs en quête de paysages. Nos suggestions pour user ses semelles.***
Sentier des Caps
Le sentier des Caps longe le fleuve Saint-Laurent, entre l'archipel de L'Isle-aux-Grues et l'Isle- aux-Coudres. Il embrasse les villages nichés dans les anses du fleuve ou lovés dans les courbes des montagnes. Il serpente près des falaises et au coeur d'érablières et de sapinières.
L'autobus arrive à Saint-Tite-des-Caps. C'est l'un des avantages de cette randonnée: elle est accessible en transports en commun. D'abord, il faut remplir les formalités d'usage au bureau du sentier des Caps, tout près, puis foncer vers le fleuve. Une route de terre de 3,4 km mène au sentier.
La nappe d'eau du Petit Lac n'a pas un pli. Un vrai miroir dans lequel se reflètent les couleurs de la forêt. Des feuilles d'érable rouges tapissent le sentier. Elles le transforment en une coulée pourpre, se mêlant à la boue qui macule vite les bottes.
L'érablière à bouleau jaune cerne les randonneurs jusqu'au premier refuge, La Faille, qui héberge plus de mulots que d'humains! En chemin, pas de chance pour les trouées vers le fleuve : le brouillard est à couper au canif suisse.
Points de vue
Faute de pouvoir aller en autobus au départ traditionnel du sentier, à la réserve nationale de faune du Cap-Tourmente, on attaque d'abord cinq points de vue vers l'ouest.
La chance - ou le vent - tourne après quelques montées abruptes : le brouillard se dissipe et dévoile le Saint-Laurent et la rive sud. On tente alors de compter les 21 îles de l'archipel de L'Isle-aux-Grues.
L'automne, les grandes oies des neiges se déplacent par milliers vers Cap-Tourmente. Une migration qui débute à la fin du mois de septembre, avec un pic entre le 8 et le 18 octobre. Mais aucune volée ne passe ce jour-là.
Le lendemain, cap vers l'est. Le soleil brille. Depuis le belvédère de l'anse de la montée du Lac se découpent, sur l'horizon sinueux, le village de Saint-Tite-des-Caps, des champs et des silos.
Le soleil vivifie tant les tons de rouge, pourpre, orange, jaune et vert de la forêt qu'on se surprend à imaginer un daltonien distinguer enfin toutes les couleurs! Plus loin, des arbres de 400 ans. La vue s'ouvre sur le fleuve où transitent des navires.
Au troisième matin, à partir du cap Gribane, on a la tête dans le brouillard et les pieds dans une sapinière à bouleau jaune. Le spectacle débute vers midi, à la levée de l'épais rideau blanc. Le sentier tricote entre le fleuve et les montagnes multicolores. Voilà un orignal! Surpris, le puissant cervidé à bois palmé détale.
Près d'une falaise, un homme se pointe: chaussures de course, sac à dos réduit. Cet adepte de randonnée ultralégère entend mon grelot, me qualifie de lutin du père Noël et m'offre une petite leçon! Ce sympathique Speedy Gonzales a aussi fait la morale à un couple devant: «Partez-vous pour deux semaines?»
Panorama grandiose
Au refuge Cap du Salut, le soleil levant embrase la rive opposée du fleuve. Le sentier ondule dans une sapinière à bouleau blanc. Il aurait fallu prévoir une nuit à l'Abattis tant la vue depuis le promontoire est grandiose: panorama ouvert sur le Saint-Laurent et son chapelet d'îles.
Le ciel se couvre et déverse de grosses larmes. La chaleur du poêle du refuge Liguori sèche les vêtements et ressuscite les mouches!
Les rayons du soleil percent la brume du dernier matin et strient la forêt endormie. Le sentier descend jusqu'à Petite-Rivière-Saint-François, d'où on se rendra à Baie-Saint-Paul pour l'autobus. Voilà maisons, commerces et église. Un retraité lance, avec un rire généreux: «Ça existe encore, des grands explorateurs?»
Détails
> Longueur: 51 km, se réalise en 4 ou 5 jours
> Dénivelé positif: 1600 m
> 9 refuges, 33 terrains de camping ; service de transport de bagages et de voiture
> Départ: Cap-Tourmente ou Saint-Tite-des-Caps, route 138.
Traversée de Charlevoix
Effectuer la Traversée de Charlevoix, c'est arpenter l'arrière-pays de la réserve mondiale de la biosphère de cette région, statut accordé par l'UNESCO. C'est un sentier au doux dénivelé qui s'enfonce pendant 105 km dans la forêt boréale, borde les vallées et chatouille, ici et là, des sommets de 1000 m. Chaque année, environ 450 personnes font ce voyage mythique.
L'une des premières choses que l'on apprend au bureau de la Traversée, c'est que les porcs-épics raffolent de la colle de balises en aluminium. Un employé nous en montre une dévorée!
Et puis, c'est le départ.
Premier constat: il a neigé et les nuages sont là pour rester. Un mince tapis blanc couvre le sentier ceinturé d'épinettes et de bouleaux blancs. Deuxième constat: à la mi-octobre, le plus beau de l'automne semble par terre. Les arbres se dégarnissent, même si des feuilles jaunes s'accrochent. L'air vif se faufile dans les sous-bois. On respire les parfums d'humus, de feuilles mortes, de fougères.
On croise le sentier du mont Eudore-Fortin, inauguré en 2012. C'est un toponyme officieux en l'honneur du Charlevoisien à qui l'on doit la Traversée, accessible depuis 1978.
«Il va falloir attendre deux ans après ma mort pour l'officialiser et vous allez attendre longtemps!», dira plus tard l'homme de 83 ans, infatigable président bénévole de l'organisme sans but lucratif... qui a déjà offert et livré un gâteau dans un refuge pour le voyage de noces d'un couple!
On avance sur les feuilles d'une jeune forêt parsemée de chicots brûlés. Un porc-épic! Enfin, disons une boule noire qui file dans un conifère et devient vite indiscernable. Plus loin, une plantation de pins gris succède aux coupes à blanc. Partout, le paysage est façonné par les incendies, les chablis ou les coupes forestières.
La Noyée
Le lendemain, la montagne La Noyée, avec ses 980 m, vaut un détour. Au programme: vue spectaculaire sur la rivière Malbaie, les villages de Saint-Hilarion, Saint-Aimé-des-Lacs et Clermont, le fleuve, alouette! Et, paraît-il, on s'émerveille presque en inuktitut devant les îlots de toundra arctique-alpine des sommets du coin. Mais il pleut.
On boude donc le détour pour s'enfoncer dans les pins gris. Leurs aiguilles rouille jonchent le sentier.
Le géologue amateur sera ravi par la Traversée: relief torturé par la formation du Bouclier canadien et les glaciations - surveillez les blocs erratiques - , avec une vue unique sur l'immense cratère de Charlevoix, formé par un météorite il y a 360 millions d'années.
Le soleil caresse les jours qui suivent. Se succèdent des parois vertigineuses et des montagnes sinueuses, des pessières et des sapinières, des ruisseaux et des rivières.
Au parc national des Hautes-Gorges-de-la-rivière-Malbaie, on longe la rivière utilisée jusqu'en 1987 pour la drave.
Dans une vallée au-delà du ruisseau Chouinard, les couleurs de l'automne semblent toujours rassemblées! Le sentier mène à un barrage de castors où l'eau, écumeuse, est retenue dans une vaste zone inondée.
Récompense peu avant nos derniers kilomètres: un porc-épic! Apeuré, il grimpe à un arbre et s'arrête à un mètre du sol, à la merci de nos appareils photo!
Détails
> Longueur: 105 km, se réalise en 6 jours (randonnée, ski ou vélo)
> Dénivelé positif: 950 m
> 10 chalets, 4 refuges, camping interdit ; service de transport de bagages et de voiture
> Départ: au nord de Saint-Urbain, sur la route 381 (à 26,8 km au nord de la route 138)
Options plus courtes?
> Parc national des Grands-Jardins, Mont-du-Lac-des-Cygnes
Se rendre au sommet du mont du Lac des Cygnes est un incontournable. Avec ses 980 m, il domine un massif où s'étend, au sud-est, la vallée de la rivière du Gouffre qui se déverse à Baie-Saint-Paul. Le regard s'étire de l'arrière-pays jusqu'au fleuve Saint-Laurent et embrasse l'astroblème de Charlevoix et les villages qui y ont poussé. Une randonnée de 8,4 km hautement récompensée!
> Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie, l'Acropole des Draveurs
Les glaciers ont façonné la région: vallées suspendues, cirques, auges glaciaires et blocs erratiques. Le célèbre sentier de l'Acropole des Draveurs (10,4 km) permet d'apprécier des entailles aux parois spectaculaires, coiffées de plateaux à la végétation arctique-alpine. Le paysage s'ouvre sur la vallée de la rivière Malbaie et nous laisse sans voix!
> Sentier des Caps et Traversée de Charlevoix
Oui, des randonnées de 51 ou 105 km, c'est long! Mais ces secteurs offrent des options plus courtes. Au sentier des Caps, optez pour les parcours de la Chute, du cap Rouge ou du cap Brûlé pour vous mettre des villages, le fleuve et ses îles plein les yeux!
Près de la Traversée de Charlevoix, choisissez les sentiers du Dôme, des monts du Lac à l'Empêche et du Four ou du mont Eudore-Fortin pour un avant-goût de l'arrière-pays et des paysages imprenables.
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PRATIQUE
Pour en savoir plus sur la Traversée de Charlevoix et son arrière-pays, procurez-vous le guide écotouristique L'autre nature de Charlevoix, écrit sous la direction d'Eudore Fortin et publié aux éditions 4 saisons. Glissez-le dans vos bagages!
- Photos par Robert Skinner, La Presse