Que faire de ce spleen automnal qui se met en travers de vos pas et menace de vous faire trébucher? Sortez-le! En ce mois des morts, une petite balade dans un cimetière ancien, qui rappelle la vie de tant de nos aïeux, est un remède souverain. Justement, la Route celtique, entre Plessisville et Thetford Mines, est semée de ces lieux de mémoire. Découverte.

Nous sommes dans les contreforts des Appalaches, plutôt collines que montagnes, dont le relief ondule mollement jusqu'au bout de l'horizon. Les fermes grasses et prospères y déploient en cascades leurs champs de soya, de blé ou de maïs, festonnés d'érablières ou de pinèdes. Sur les hauteurs, des bataillons d'éoliennes, élégantes et muettes sentinelles, capturent un vent permanent qui décoiffe et aère les esprits moroses.

Ici, pas de route des vins, pas de zoo, pas de parc aquatique. Il y a bien le Musée du bronze d'Inverness, ou le superbe site patrimonial de Saint-Jacques-de-Leeds, qui regroupe une ravissante église et son vénérable presbytère ainsi que deux écoles de rang (dont l'une toute meublée encore, comme si les élèves venaient d'en sortir!). Avec quelques beaux parcs où marcher ou pique-niquer (notamment celui des chutes Lysander, à Inverness), c'est à peu près ça. Et comme à peu près tout ça est fermé de l'Action de grâce à la Saint-Jean, il faudra revenir en été pour en profiter. En attendant, il reste à se remplir les yeux de beauté, ce qui n'est déjà pas mal.

Comme les Cantons-de-l'Est, la région a été colonisée par des vagues successives d'immigrés venus d'Angleterre, des États-Unis, d'Irlande et d'Écosse. Si la plupart de ces familles, au fil du temps, ont été remplacées par des francophones, elles ont laissé leur marque dans tout le territoire. Les chemins Craig et Gosford, aménagés au début du XIXe siècle pour relier Québec à Boston par diligence, sont le fil qui nous unit à leur histoire.

On parcourt la Route celtique à l'envers ou à l'endroit, dans l'ordre ou le désordre, en s'arrêtant à tout bout de champ (c'est le cas de le dire) pour dire bonjour à ces grands boeufs au toupet frisé, pour tendre un peu d'herbe à un imposant cheval belge dont la crinière blonde luit au soleil, pour admirer ce long pont couvert qui enjambe la rivière Palmer.

L'Irlande au Québec

Les rangs s'appellent Dublin, Armagh, Dundee. Les villages ont nom Inverness, Kinnear's Mills ou même Irlande. Ils comptent trois, quatre, voire cinq églises chacun - anglicane, méthodiste, luthérienne, catholique -, toutes de bois blanc, modestes jusqu'à l'austérité (sauf la catholique!). Dans les cimetières qui les jouxtent, les stèles aux épitaphes rongées par les saisons honorent la mémoire de familles Belsher, Davidson, McCutcheon, Hogg, Little ou Ralston.

À Sainte-Agathe-de-Lotbinière (sans doute l'un des plus jolis villages qui soient, avec ses coquettes maisons de bardeaux et sa belle église de pierre grise), le cimetière est catholique. Aux côtés de coreligionnaires irlandais, plusieurs familles francophones y ont trouvé leur dernier repos. C'est le moment d'enrichir votre collection de prénoms rares: Vilbon, Célanire, Elphège, Anaïse, Herménégilde... C'est aussi le moment de songer à la fragilité de la vie - de «leur» vie, en tout cas. On y voit les tombes d'enfants morts à 2 jours, à 9 mois, à 2 ans, parfois dans la même famille. Des mères enterrées avec l'enfant auquel elles tentaient de donner le jour. Des garçons partis à 14 ans, emportés par... quoi? La grippe espagnole? La rivière Bécancour, qui, ailleurs si calme, se jette rageusement contre le roc aux chutes Lysander?

Entre Kinnear's Mills et Saint-Jean-de-Brébeuf, tout près d'une vertigineuse tour de télécommunication d'Hydro-Québec, un belvédère permet d'embrasser d'un coup tout le paysage. La route y grimpe joyeusement avant de redévaler les collines d'une traite jusqu'à Irlande, où il faut absolument s'arrêter pour jeter un oeil au lieu patrimonial Holy Trinity. Oh, rien d'extraordinaire: (encore) une petite église blanche, un cimetière à flanc de coteau, un vieux presbytère (devenu gîte du passant, hélas fermé le jour de notre passage). Pour un peu, on envierait les morts d'avoir pour eux un si joli lieu de repos.

Après, on pourra pousser jusqu'à Saint-Julien, deuxième village en altitude au Québec (le plus haut: Saint-Malo, près de Coaticook), juste pour dire qu'on y est allé, et redescendre ensuite vers Ham-Nord puis Victoriaville, à travers les érablières dont les dernières feuilles se consument dans le jour finissant.

www.larouteceltique.org

www.craig-gosford.ca